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Channel: YURTAO, la voie de la yourte.
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BABETH

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BABETH !!!!

Je pleure en murmurant ton nom.

Mais je voudrais crier.

Crier contre ce que tu as fait et que personne n'a pu prévenir.

Crier pour protester, crier parce que je ne suis pas d'accord avec ta mort, crier parce que je t'aimais et que je n'arrive pas à accepter ce départ si brutal. Je pleure et je me lève pour prendre la serviette éponge car le torrent est en train d'arriver.

Tu viens de rejoindre ma fille par le même acte d'arrêter la souffrance. Tu venais de m'appeler, je n'étais pas là. Tu as appelé tes deux autres amies, et ça n'a rien changé. Je suis rentrée seulement ce soir là, et c'est ce soir là que tu n'as plus supporté, que tu es passée de l'autre coté. C'est insupportable. Je voudrais hurler.

Babeth a laissé sur mon bureau une lettre pour Sergio. Puis elle m'a dit de la déchirer, que ce n'était plus d'actualité. Je ne l'ai pas déchiré. Je l'ai laissé là, fermée, sur mon bureau. Je l'ai ouverte maintenant en pleurant, comme je viens d'écouter ses messages sur mon répondeur. Babeth s'excuse d'être ce qu'elle est. Elle dit qu'elle va aller en retraite dans un centre bouddhiste à la fin du mois et qu'elle se ressaisit.

Babeth, la rebelle, une fille qui me touchait beaucoup, à cause d'une absence totale de perversité, d'une incapacitéà la duplicité et au mensonge, d'une profonde gentillesse et d'une inaltérable honnêteté. Aux yeux non avertis, ces qualités pouvaient être cachées par les symptômes désordonnés de la souffrance mentale. Ceux qui croient qu'on a le droit de vivre qu'en allant bien, des arrogants et des lâches, ceux-là sont passés à coté de Babeth avec leur mépris en bandoulière, et c'est tant mieux pour elle de s'être écartée du monde des requins. Mais ça n'a pas suffit à lui apporter la paix.

Je n'arrive pas à aimer les gens qui ont tout trop bien et qui ne savent rien du manque. Elle, elle se savait si petite, si fragile, mais je voyais bien son héroïsme desespéréà se battre comme une grande.

Babeth, la révoltée, qui parlait trop fort, qui pestait contre le système des puissants avec une lucidité décapante, et qui avait des éclats de rire comme quand on sort d'un corridor et qu'on reçoit le soleil éblouissant en pleine figure.

Une femme qui avait mal, depuis longtemps.

Qui se battait contre ce mal que personne n'a pu nommé, que quelques jours avant, elle identifiait comme peut-être la maladie de Lyme.

Elle a tout essayé, les docteurs, les médecines alternatives, les régimes. Elle m'envoyait avec assiduité les meilleurs liens internet, ça allait des thérapies aux derniers scandales écologiques.

C'est elle qui m'a fait connaître les magnifiques sites canadiens de Marc et Saby.

Elle me faisait passer régulièrement livres et revues alternatives auxquels elle était abonnée, elle cuisinait des tartes pour nos réunions de voisinages,

les "pique-nique" du peuple des yourtes,

babeth à l'ag cheyen 2012

m'amenait des arbres et des salades à planter.

Malgré ses bobos et son immense fatigue,

babeth fermant la toile interne de la yourte

elle m'a aidéà monter la grande yourte qui accueille les amis,

montage yourte avec babeth et richard

et aussi au secrétariat de Cheyen.

Elle peignait à l'huile des tableaux pleins de brisures et de couleurs joyeuses, elle les a généreusement distribué aux amateurs lors de la dernière assemblée générale de Cheyen.

le tableau que m'a offert Babeth

Babeth est venue ici il y a quelques années avec son compagnon, guidée par Yurtao dont elle était une des plus anciennes et des plus fidèles abonnées. Elle voulait se rapprocher de la mouvance des yourtes, même si son état de santé ne lui permettait pas un projet personnel. Babeth faisait partie de la tribu, toujours là pour aider, toujours là pour rendre service, pour donner ce qu'elle pouvait. Elle était généreuse comme on lance une bouteille à la mer, comme pour dire que seule la gratuité du don peut sauver la vie.

Je n'arrive pas à imaginer mon téléphone muet, un teléphone sans Babeth n'a aucun sens.

Pourtant, ses appels étaient parfois trop souvent. Elle avait besoin de parler, je la laissais s'épancher sans intervenir et c'était suffisant. Je crois que j'avais réussi à trouver la bonne distance avec elle. Construire une amitié sans se laisser envahir par la douleur, ne pas céder à la fuite ou au chantage affectif. Je savais que tant qu'elle appelait, c'est qu'elle s'accrochait. De cette insistance maladive, je m'étais habituée. On ne refuse pas une bouée à quelqu'un qui se noie. Elle était encore capable de cette humilité de demander. Au fond, j'en étais admirative, sans doute parce que moi je ne sais pas demander. Elle suscitait mon affection comme une enfant un peu pénible mais tellement attachante.

Oui, voilà, je m'étais attachée à Babeth.

Mais Babeth ne m'appellera plus jamais.

Hier, Babeth en a eu marre des appels dans le vide,

Babeth s'est jeté dans le vide,

Babeth a tranché,

Babeth s'est détachée.

Définitivement.

 

 

 


Là où elle voulait être

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Je ne sais pas si c'est un choix, mourir en sautant.

Pour choisir, il faut des possibilités, certaines àéliminer et au moins une à saisir, et pouvoir utiliser sa capacité de réflexion, de jugement, son libre arbitre.

On peut parler de choix pour une décision consciente, mais pour une pulsion et un passage à l'acte ? Pour un désespoir sans rémission ? Est-ce un choix quand on est acculé dans une impasse, piégé dans une voie sans issue ?

A un niveau purement psychologique, quand on est dans la fuite éperdue, épuisé après une trop longue course, qu'on subi une grande souffrance, qu'on veut échapper à une insoutenable violence, qu'on a demandé de l'aide partout et qu'on a pas pu mettre en œuvre les bonnes réponses, quand on est démuni de l'outil ou de l'étayage qu'il faut pour se réparer et fonctionner sans dérailler, il n'y a pas de choix.

Il n'y a que quelqu'un d'enfermé qui veut sortir.

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A un niveau spirituel, peut-être que le corps qui a choisi de naître choisit aussi le moment de s'en aller, de même qu'il pourrait choisir les épreuves pour se forger l'âme. Je ne sais pas, je laisse les religions tâcher de convaincre nos crédulités avides de mirages.

Je ne sais pas non plus si elle est bien maintenant là où elle est, mais ce que je sais, c'est que ça nous fait du bien de le croire. A part sans doute l'athée qui a l'arrogance de croire qu'il ne croit à rien.

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Le grand Mystère, lui, reste entier, c'est probablement la seule chose qui n'a pas changé depuis le début de l'humanité. Nous ne savons rien de plus de la mort aujourd'hui qu'hier.

Même les NDE, les EMI (expériences de mort imminente) dont les témoignages de lumière et de grande quiétude concordent, grâce aux prouesses des techniques de réanimation, ne sont pas vraiment la mort, puisqu'on revient pour raconter.

La mort, c'est quand on ne revient pas.

Par contre, sur les causes de la mort, les humains glosent à foison et pistent les indices avec de plus en plus de virtuosité au plus grand profit des producteurs de séries télé. Mais pour l'interprétation, la classification, on verse de suite dans l'idéologie.

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En cas de mort violente, le protocole donne trois possibilités :

accident, meurtre ou suicide.

A mon avis, deux suffiraient, car le suicide est un meurtre collectif.

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Pourquoi l'acte d'un paysan qui avale un pesticide est-il classé suicide, et donc relégué dans l'histoire personnelle, alors qu'il a été dépouillé de ses terres et de ses moyens de subsistance par la cruauté anonyme de grosses firmes agroalimentaires ?

Pourquoi dit-on que dans les entreprises les gens se suicident alors qu'ils sont torturés mentalement jusqu'à la mort par des patrons armés de chiffres assassins ?

Et pourquoi déplore-t-on le suicide de cette femme qui a appeléà l'aide en frappant à toutes les portes dont aucune ne s'est ouverte, qui s'est jetée de son balcon en sortant du centre social où l'assistante sociale trop pressée, confortablement payée pour blablater ce jour-làà perte de vue avec ses copines collègues sur le thème de "la solitude des exclus", sous le grand savoir d'un expert  certifié, a reporté son rendez-vous ?

 Le suicide n'est pas une affaire personnelle, c'est un acte politique, et pas seulement pour l'euthanasie et l'avortement. Même le chagrin d'amour est d'ordre politique puisque les sentiments d'abandon et de dévalorisation sont liés aux rapports sociaux de domination.

Les dauphins qui se suicident ont été délibérément évincés de la société des dauphins.

Les Esquimaux punissent un meurtrier par l'éviction sociale, ce qui équivaut à une condamnation à mort tant il est quasi impossible de survivre seul dans ces latitudes.

Le suicide personnel n'existe pas dans les sociétés traditionnelles, il résulte d'un châtiment et d'une exclusion collective.

Donc, dire que ceux qui ont retourné l'agressivité contre eux ont choisi de partir, ne me paraît pas approprié, en particulier au moment du deuil. C'est une façon de ne pas se poser de questions, d'ajourner, de distancier, de se déculpabiliser et de vite oublier.

De même pour la mode de la crémation des corps.

Aucune incinération n'est aujourd'hui soutenable.

Ni des déchets, ni des énergies fossiles, ni des corps.

Au moment où le GIEC, dans son dernier bilan climatique, alerte sur les terribles catastrophes que nos dégagements de CO2 préparent à nos enfants, il faut de toute urgence cesser les combustions.

Tout ce que la terre produit doit repartir à l'humus.

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La non-restitution à la terre de nos excréments et de nos ordures

grève déjà largement l'écosystème de son dû,

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amputant gravement ses capacités naturelles de réparation et de régénération.

Alors, quelle béance dans l'équilibre écologique

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si on ne restitue pas les corps par la décomposition lente

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d'un enfouissement dans les entrailles de notre Mère la Terre !

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Mais la lenteur est devenue une dissidence au système,

un acte de résistance non violente.

Pour la plupart, incinérer son mort, c'est s'aligner sans réfléchir sur les dogmes fonctionnels issus de la peur, se soumettre à la société de l'accélération, de l'urgence, de l'escamotage, de la déshumanisation, de la perte des liens, du sens et des valeurs, de la perversion de la culture. La crémation considérée comme un procédé propre, net, rapide, efficace, permet surtout l'industrialisation et la centralisation de la mort. Finis les petits cimetières où après un ensevelissement géré par la communauté locale, on vient pique-niquer sur les tombes.

La crémation évacue le passé de la mémoire, alors qu'une tombe, même si on y va jamais, laisse planer un relent de filiation en reliant aux racines.

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Ceci est une opinion, non argumentée et non développée, elle est donc discutable.

Ce qui n'est pas discutable, ce sont les faits et l'émotion.

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L'émotion du compagnon, l'émotion des proches.

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Babeth est morte un soir d'Avril

et quand je me suis levée le matin suivant,

en passant devant l'arbre aux étoiles,

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une branche m'a écorché le front, laissant une marque rouge.

Après, quand j'ai vu Babeth à la chambre funéraire,

à la même place sur son front,

il y avait l'énorme bosse correspondant à l'impact qui l'a tué.

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Je ne suis pas allée à l'incinération mais j'ai préparé un endroit de repos éternel pour les cendres de mon amie. Rameaux de pommier en fleurs, genêts odorants, tubes violets de paulownia disposés sur un drap blanc, iris des fossés,

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et puis des petits œufs dorés de Pâques autour des pétales pourpre de roses ramassés près du cercueil, et l'encens et les bougies, et le grand vert du printemps.

On a choisi un trou creusé il y a longtemps où j'entassais du compost, comptant y planter un arbre après que les vers aient accompli leur boulot.

Ce n'est finalement pas un arbre, mais un rosier orange.

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On l'a planté là, dans ce trou riche et moelleux,

ses racines dans Babeth,

à coté du grand mandala,

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au pied d'un vénérable pin, d'un bouleau et d'un petit chêne.

On a mélangé du terreau d'acacia bien meuble qu'on a saupoudré dans le trou.

On a étalé les fleurs, et la peine s'est partagée en embrassades.

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Le lendemain matin, j'ai pris tout mon temps pour honorer,

avec la beauté fragile des pivoines et des lys,

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des roses et des marguerites,

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la mémoire de Babeth,

qui désormais repose là où elle désirait demeurer en paix,

un petit coin de verdure dans la forêt auprès des yourtes.

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J'ai mis les roses des gerbes en suspension dans des vasques d'eau

déposées sur un lit de fougères

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et j'ai encadré de pétales

le petit coin de vacances éternelles de Babeth.

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J'allais promptement en surveillant le moment où le soleil franchissant la futaie allait flétrir les pétales éparpillés, concentrée, la tête vide, avec seulement cette immanence des gestes justes à poser au bon moment.

Quand ça a été fini,

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une grande PAIX

s'est emmêlée au souvenir de Babeth.

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Ceux qui n'ont pas eu peur de partager ces instants,

qui n'ont pas eu un menhir urgent à livrer,

ont ressenti la même onde tranquille se répandre dans leur cœur,

bain de douceur où flotte cette joie ineffable qui,

au-delà des événements,

traverse toutes les tristesses.

 

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SOUCHARDS

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 souchard calligraphe pour yurtao

Personne ne les voit. Que moi.

C''est à force de ne plus partir de chez soi, de creuser, de fouiller, de percer l'impénétrable, de côtoyer ténus et invisibles.

En limitant son périmètre d'action, les considérations s'approfondissent au lieu de se dissoudre dans l'espace. On découvre dans les strates d'un point fixe une densité inconcevable au passager. Celui qui voyage accumule des surfaces, celui qui demeure s'enfonce dans les racines.

Dans les racines habitent les souchards.

souchar devant la mer yurtao

Les souchards sont des alchimistes de l'écosystème.

Des alchimistes très très vieux, qui remontent d'avant l'homme, d'avant les dinosaures, dans la nébuleuse des temps primordiaux. Artisans secrets des profondeurs, sorciers et magiciens des combinaisons chimiques fondamentales, ils fabriquent dans le sous-sol de leurs ateliers ténébreux le creuset d'où s'exhale le souffle de nos vies.

Normalement, il faut une tempête sans précédent pour qu'ils affleurent, mais même exposés, ils ne sont pas forcement dévoilés.

souchard à la pomme de pin

Sinon, ils vivent dans le noir, dérobés aux regards. Le noir sous la terre, le noir du mépris, le noir de l'inconscient.

Ici, il y en a beaucoup en l'air, extraits de l'ombre, privés de leur fonction incontournable de pivots du monde. Échoués, comme ailleurs, comme partout, telles de lamentables épaves dans un milieu aérobie qui agresse leur pudeur.

souchard pieuvre

On en trouve près des pistes où sévissent les bûcherons illicites, et à l'orée de la forêt, à la sortie du village, où c'est facile de saccager. Les prédateurs qui ne cueillent ni ne ramassent presque plus depuis la révolution industrielle convoitent troncs et grosses ramures, avides d'aubiers luisants gonflés par les souchards inlassablement à la tâche, à pulser la sève jusqu'aux cimes.

Les abatteurs guignent les éminences sylvestres les plus séculaires et les plus accessibles, œuvres monumentales que les souchards ont engendré et nourri avec assiduité et abnégation pour le bien commun.

Chaque bel arbre rescapé en bord de piste m’apparaît comme un miracle et je cherche à comprendre quelles circonstances ont favorisé sa survie, alors que je ne compte plus les découvertes macabres, au fil des années, de spécimens de plus en plus petits rasés au plus près du sol. Les pauvres et les marchands massacrent en quelques minutes des décennies d'équilibrage minutieux, décapitant sans scrupule la magistrale architecture végétale que le souchard solitaire ou en réseau a su ériger et déployer harmonieusement, sans échafaudages, sans étayages, sans grues et sans terroriser une armée d'ouvriers affamés.

souchard propre

Mais ces performances ne semblent susciter que jalousie des machos qui, depuis la tour Eiffel et les monstres de béton de Dubaï, plastronnent, au sommet de leur orgueil, leur hégémonie sur toute création naturelle.

En bas de l'arbre débité, il ne reste qu'atrophies suintantes,

oeil de souchard en forêt pour yurtao

d'où poussent quelques rejets affolés, tôt ou tard fauchés, après quoi les souchards finissent par jeter l'éponge avant d'entrer en décomposition.

Les brutes humaines entendent-elles le cri sourd des souchards assassinés, un cri de douleur lugubre et caverneux qui se mêle aux larmes de Perséphone prisonnière avant d'aller amplifier l'immense chagrin de Gaïa ?

Ils n'entendent que leurs engins à moteur et leur cupidité, d'ailleurs sont-il encore humains puisqu'ils ont pris le parti des machines et pas celui de la nature... ?

 souchard sauvage pour yurtao

J'entends ces plaintes, impuissante, priant pour que la prodigieuse fécondité des souchards résiste aux armées de scélérats de plus en plus outillés, admirant comment, malgré des menaces permanentes, les souffleurs de la chambre alchimique continuent dans les caves de la vie, avec un dévouement sans failles, à faire pénétrer et bouillonner l'or du soleil dans les ténèbres, à distribuer gracieusement aux ingrats du dessus de généreuses richesses et des œuvres d'art gratuites.

Enfin, gratuites à court terme, pas pour si longtemps, car un jour il faudra payer les abus et le gâchis, et je n'en reviens pas de ces parents ignares qui veulent tous le mieux pour leurs enfants mais leur laissent en héritage des déserts empoisonnés et des décharges toxiques, tout en glorifiant le progrès terrifiant des machines à diviser qui les aliène.

L'existence stratégique des souchards ne m'a été révélée que par la violence.

cercles de résine

Car, viscéralement pacifique et laborieux, ce peuple hermétique dont le pivot est à l'arbre ce que le bulbe est à la tulipe, est un modèle de réserve et de sobriété.

En temps de paix et de respect, et dans des endroits retirés, la puissance des souchards agit dans la sérénité des bois profonds dont ils abreuvent les sommets.

Plus ils sont oubliés et plus ils grossissent.

Plus ils envoient les racines s'étaler vers le fond et plus les branches s'épanouissent vers le ciel.

Plus ils font circuler d'énergie et plus ils produisent d'oxygène.

Le souchard est le point de jonction entre le haut et le bas, le Nord et le Sud, le chaud et le froid, le moyeu d'une grand mandala végétal dont une moitié est cachée dans l'obscurité et l'autre étalée en frondaisons lumineuses, charnière d'un emboîtement à l'image du ying et du yang.

Le souchard commande de sa cabine en étoile le chantier silencieux de sa cathédrale de bois, dont la verticalité défie, des cryptes souterraines aux tourelles perchées, la pesanteur.

Tant que le souchard ne se voit pas et bosse incognito, l'ordre et la tranquillité sont préservés.

Rencontrer un souchard indique forcement un massacre.

souchard pointu yurtao

Maintenant, je sais exactement où aller pour en trouver.

Comme pour les champignons, j'ai développé un sixième sens, un flair à souchards.

souchard en forêt pour yurtao

Je me laisse guider par les cercles écorchés et les trognons martyrisés, ils sont dessous.

Je parcours des charniers recouverts de mousse où sévit le plus affreux désordre, me promène dans des trouées ignobles où pullulent les blessures sylvestres.

Le meilleur de la forêt est tari, en putréfaction ou en train de se dessécher. Il existe bien un Office National pour la protéger, mais ça va de mal en pis, les agents qui aimaient patrouiller se suicident, autant que les paysans et ceux du téléphone, parce qu'ils croyaient pouvoir faire du bien alors qu'on les oblige à faire du fric.

Pour qu'un souchard apparaisse, il faut qu'il soit renversé ou extirpé.

souchard extrait sous la yourte yurtao

Mais pour qu'il cède le terrain et se laisse prendre, il faut qu'il soit très vieux, que ses liens avec la terre soient rompus ou distendus et qu'il n'y ait plus aucune possibilité de faire repartir l'usine à sève. Les jeunes résistent, je n'insiste pas.

Au dessus de ces agonies sans sépulture, dans cette ambiance de désolation où se projette la fin du monde, comme partout où la vie a hurlé sous les coups, comme au-dessus d'un champ de bataille, règnent, à flanc de cadavres, fantômes et esprits.

Maintenant, je les vois. Pas forcement tout de suite.

Parfois spontanément en me baladant, mais plus souvent après la toilette. Je sais, depuis que j'ai commencéà gratter, que chaque souchard révélera ses mânes à qui prendra la peine de l'extraire de sa gangue. Il arrive qu'il se donne de lui-même, c'est plus rare, il faut qu'il ait été malmené et culbuté au point de ne plus pouvoir cacher sa honte.

Alors je tâte le cadavre, le tire pour tester sa ténacité. S'il vient trop facilement, c'est qu'il est très abîmé, je préfère donc le laisser terminer sa métamorphose. Mais s'il faut insister, souvent en m'appuyant de tout mon poids sur un vestige de tronc, s'il lui reste assez de dureté et que ses formes décrochées m'inspirent, c'est que son crane risque de m'offrir quelques alvéoles coriaces où dénicher son âme. Arrachéà la glèbe, je le tape et le secoue, pratique un vague débarbouillage, et lui fait dévaler la pente. Sans ménagement, pour que la terre et le bois mort se détachent. Je l'accroche sur Modestine pour le ramener chez moi, à l'infirmerie improvisée, au centre de soins du camp de yourtes. S'il n'est pas trop gros, j'en mets plusieurs. Je sangle avec des tendeurs et parcours à pied la piste en traînant mon butin dans la petite charrette.

A la yourte, je déverse le monstre informe sur l'herbe où il rejoint des congénères à différents stades de décapage.

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Quand je suis prête, veste de travail, sabots de jardin et temps devant moi, je m'assois sur l'aire de burinage comme on va à la fête rejoindre ses copains et faire connaissance de nouvelles personnes. Je m'engage dans les ablutions aux dépouilles comme pour une cérémonie sacrée, un rite alchimique de métempsycose.

Armée de grattoirs en châtaigner, de hérissons improvisés, d'Opinel, de ciseaux à bois, de veilles brosses à dents, je frotte, épluche et décortique le souchard jusqu'à ce que le pourri parti dégage un squelette bien sec. Je récupère dans un bac les loques noires grumeleuses qui donnent un terreau d'ébène. Dans la concentration de ce long polissage, je sais que, tôt ou tard, on va se tomber dessus.

Au détour d'un coup de couteau, d'une caresse.

Comme avec quelqu'un dans la foule qu'on ne reconnaît qu'après avoir zoomé.

Je suis concentrée, appliquée. J'aime ces formes bizarres, cornues, pointues, trouées, bosselées, ces protubérances et ces bourrelets, ces saillies sépulcrales, formes inconcevables rétractées du grand mystère radiculaire. Je les sculpte en raclant, frottant, polissant, et c'est souvent à un moment clair de cette absorption têtue qu'arrive le miracle de reconnaissance, le moment tranché dans le vif où l'esprit du souchard soudain apparait. Une vulgaire tâche, une petite bosse, une tavelure devient un œil.

oeil du souchard paumé

Un œil qui me regarde, rond, ovale,

juste une cassure, une blessure, ou juste un trait.

Un œil habité qui veut communiquer.

oeil dans le bois

Immédiatement, jubilante, je rentre en connivence avec l'être derrière. Dés lors, je ne peux plus manipuler le souchard pareil. L'œil ordonne tout autour.

L'œil du souchard qui attendait que j'arrive, qui me regarde depuis que j'ai commencéà le desceller. C'est parfois tout petit mais incroyablement perçant, parfois torve et évanescent, parfois globuleux de torpeur, souvent placide et débonnaire, parfois sévère, mais toujours signifiant et bouleversant. Dés ce moment, le souchard, quoique amputé de sa fonction première, retrouve un souffle de vie.

Celui des ancêtres, de la mémoire, de l'éther akashique, un long soupir imperceptible lourd de l'histoire des avanies subies, une compilation qu'il serait bon de consulter avant de tirer des plans sur la comète.

Condensateur cosmogonique, souverain méconnu et névralgique des forêts chargé de la distillation des huiles essentielles et arômes érotiques, masse ligneuse souffrante que j'ai kidnappé au cinabre du creuset à un stade avancé de retour à la « materia prima », le souchard réhabilité, nettoyé ou pas, brut ou peaufiné, me guide vers sa place dans le jardin. C'est souvent un endroit où nos regards peuvent se croiser tout au long de la journée.

Le souchard enfin positionné, enfoncé ou calé, j'ouvre mes écoutilles intérieures pour entendre le murmure plein de sérieux et de malice par lequel il me propose un nom. Son nom.

D'allusion scientifique et symbolique, de résonance latine, dès qu'il s'est imposé, je le peins sur un bout de toile cousu sur un gros fil de fer planté en terre. Mes souchards acquièrent ainsi une identité, les extrayant définitivement du chaos primordial. Un œil non averti les croirait muséifiés, alors qu'en bonnes sentinelles, ils honorent désormais leur nouvelle fonction de veilleurs du Cantoyourte. Mais à moi, bien qu'ils m'impressionnent toujours, ils déclenchent un sentiment réconfortant de complicité et parfois, une franche hilarité.

Maintenant, entourée de mes souchards aux formes vulvaires et phalliques, aux yeux pénétrants, je me félicite d'être invitée permanente au congrès de ces vénérables maîtres charpentiers, àécouter ces philosophes de la nature chuchoter à ceux qui tendent l'oreille comment s'approcher du point d'équilibre de la voûte céleste, et, si on se concentre encore un peu plus, comment perpétuer le mystère spirituel de la graine d'immortalité.

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Présentation de quelques spécimens pas trop farouches :

 pinochius

(La plupart des meilleurs souchards sont en châtaigner, quelques uns en acacia. Les autres bois locaux ne sont pas assez durs pour devenir des souchards vétérans, des résistants.)

Vénus Yurtus

La reine des bois, qui accueille à l'entrée du camp.

venus yurtus pour yurtao

Elle était à quelques mètres de chez moi dans cet état depuis longtemps,

la tête en terre, les jambes enl'air.

vénus yurtus avant chute

Sa posture évocatrice, même à l'envers, le trou de son ventre, ses jambes, ses multiples seins, m'ont fait attendre patiemment l'heure mûre pour l'introniser souveraine des souchards. Dernièrement, elle a vacillé, je l'ai approché, et j'ai senti au toucher qu'elle n'était pas loin de céder. J'ai poussé, elle est venue toute seule. J'ai gratté dedans et j'ai attendu l'homme fort qui la porterait jusqu'à sa nouvelle place. Ça a été plus vite que prévu. Merci à l'homme fort qui a installé la nouvelle Aphrodite. Je la décorerais peut-être un jour de grâce.

tête creuse de vénus yurtus

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Kangus Pudicus

Trouvé renversé au bord d'un sentier au-dessus de ruines minières. Un coup de cœur immédiat. Choisi parmi d'autres rencontres, trop pesantes à raccompagner. Porté au cou sur deux kilomètres. Intact, à peine toiletté, non gratté, non polissé. Pour voir son museau, il faut être de corvée de compost.

kangus pudicus pour yurtao

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Caïmus Impromptus

En sale état dans la forêt mais pris en charge un bon paquet d'heures par un garçon de onze ans qui l'a reconnu le premier et l'a entièrement décapé. Une belle réussite pour un néophyte. Bizarre que la maîtresse dise que ce garçon a du mal à se concentrer à l'école alors qu'avec son Caïmus, il a pas levé la tête de son ouvrage de toute une après-midi...

 caimus

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Envolus Domestikae

J'ai pas mal hésité car, malgré son poids consistant, ce souchard offrait plusieurs positions aériennes, mais finalement, il a replié ses ailes pour se poster devant la yourte qu'il emportera un jour sur son dos quand il faudra décamper.

 envolus domestikae

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Cerberus Yurtus

Le gardien de la petite yourte. Efficace. Depuis qu'il a pris son poste, Fouinette intimidée a accepté d'être relogée en contrebas. Beaucoup moins bruyant que les neuf chiens de mes trois voisins. J'ai aplani l'emplacement d'où je l'ai extrait et fabriqué dessus une petite estrade de méditation qui reçoit le soleil matinal.

 cerberus

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Saurien Erectus

Devant ma porte depuis longtemps, bien lessivé par les pluies, donc gris. Il a suffi de le verticaliser pour qu'il s'épanouisse. Du coup, il a fait un petit. Je me demande si je dois lui fabriquer une capote.

 saurien erectus pour yurtao

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Ricanus Grinchus

Archétype du misanthrope au mauvais caractère, il râle, un, parce que je ne lui ai pas donné la première place, deux parce que je lui ai donné une place première. Il n'aime pas qu'on l'emmerde. A priori, là où il est est, très dissuasif, à surveiller scrupuleusement et jalousement ma petite yourte, à coté du rosier qui le bade avec dédain, il ne devrait pas causer trop de dégâts.

ricanus grinchus yang

Il cache son bon coté.

ricanus grinchus yin

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Rigolus Galvaniste

Un peu envahissant mais parfaitement sympathique malgré un physique ingrat. Je dois souvent le remettre en place tellement il est curieux et enthousiaste, car là où je l'ai calé, il récolte les bienfaits sérotoniques de mes séances de yoga et semble donc développer une accoutumance.

 rigolus galvaniste pour yurtao

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Bon allez, un petit dernier pour la route :

Crapouille Erraticus

Un capricieux opportuniste que je peux trimbaler et installer près de mon ouvrage quand mon crapaud fait la gueule. Un peu mascotte, un peu fétiche, bien qu'inoffensif, je le soupçonne de jeter des sorts quand il s'ennuie en sa fonction talismanique.

crapouille envolus yurtao

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Bon voilà, c'est tout pour aujourd'hui.

Quoi ?! Encore un ?!

Ahrr ! Quelle gourmandise !

Alors, vraiment le der des der, ma botte secrète, qui voit tout, qui sait tout, qui cafte tout, qui transperce tout et qui me dit tout :

 (non, ce n'est pas Faceboukus,) c'est :

Vitriolus Sulfurus

vitriolus sulfurus 1

 Jaloux et possessif, il a tout à l’œil, implacable comme une lionne protégeant ses lionceaux ou comme une conscience de jésuite.

Gardien intransigeant de l’œuf alchimique,

vitriolus sulfurus 2

sans lui, aucune émergence n'aurait lieu. Garant du renouveau perpétuel, ce farouche considère ce siècle comme une atteinte personnelle à son essence vitale, autant dire qu'il vaut mieux l'éviter si on a pas la conscience tranquille...

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Rêve de lumière

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J'ai toujours rêvé de ces jours lumineux

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où viendraient dans ma tente

le ciel et les étoiles,

étoiles descendues du ciel yurtao

le soleil et la lune,

jours sans démons lavés de toute inquiétude,

frémissants de vivacité entre les toiles chamarrées,

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les bannières livrées au souffle des brises,

banière yurtao 2014

et les roses ourlant leurs pétales veloutés

autour de mon tapis de silence.

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J'ai longtemps rêvé de ces jours transparents

croulant sous les grappes parfumées,

de ce sucre suave mélangé intimement

aux fragrances délicates à l'intérieur des corolles,

de cette blancheur des sentiers enneigés de fleurs

lachées des acacias,

chemin de fleurs d'acacia yurtao

de ces senteurs ensorceleuses du seringa frôlant mon visage,

fleurs de seringa

opalescences transpercantes emportant la raison

dans un bain de sensualité.

 acacias dans la vallée yurtao

J'ai tant désiré ces balades embaumées

où marcher n'est plus qu'une longue caresse,

entre fougères et cystes

cystes yurtao

et tout à coup, au pied d'une bute rocheuse,

la rencontre avec une orchidée sauvage,

hiératique et solitaire,

orchidée sauvage yurtao

ces refuges de falaise et ces pitons schisteux

où contempler vallons violets et crêtes ciselées onduler jusqu'à l'horizon,

mais comment imaginer le chant des oiseaux au printemps

et les vrilles nocturnes du rossignol tant que je n'y étais pas ?

Et le petit écureuil insouciant ouvrant sa noisette,

dont j'aperçois, juchée sur un dolmen couché en surplomb de forêt,

le panache adoré tranquillement dressé sur une branche

au sommet d'un grand pin ?

Comment imaginer qu'un jour je n'aurais pas de mots assez grands

pour la joie et l'amour qui me submergent ?

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J'ai rêvé et reçu des jours féériques sans savoir à qui les devoir,

des jours chargés de cadeaux impromptus et impalpables

qui arrivent sans facture et sans facteur,

que personne ne peut accaparer parce que leur matière

est plus proche de l'oxygène qu'on respire que de n'importe quel solide,

fleur de mes mains yurtao

comme ce bijou aux mille facettes

brillant de toutes les couleurs de l'arc en ciel

qu'on accroche au dedans du cœur.

Cette pierre de diamant, logée au centre de soi

comme le feu au milieu du tipi,

possède le pouvoir magique, par la force de l'attention,

d'enchanter la vie en transformant le plomb en or.

Ces jours sont là, immenses et fulgurants,

je ne sais pas comment les contenir

tant ils sont vastes et insaisissables,

marguerites en ligne sur un banc yurtao

je sais seulement,

quand tout est si ouvert qu'il ne reste que la nudité de l'âme,

que ces étincelles brasillant partout qui nourrissent la torche de ma vie

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sont les prémisses radieuses

de la grande lumière qui vient après.

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FEU

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incendie pour yurtao

On a failli devoir décamper.

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Le feu s'est déclaréà cent cinquante mètres de la yourte, un feu accidentel ou volontaire, en tout cas déclenché par un humain.

GY (le Gardien des Yourtes) a entendu le crépitement de sa tente installée en haut et il est descendu à toute vitesse. Je l'ai vu passer en courant devant le tipi où je me reposais. J'ai rempli un bidon et couru derrière lui, mais le feu était déjà trop fort, mon arrosoir était dérisoire.

Il a prévenu les pompiers et on a espéré que le vent ne se lève pas.

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On était sur la piste, dans la fumée, très près des flammes. Ancien pompier, lui, il savait quoi faire, d'ailleurs il est allé les chercher car ils se trompaient de piste.

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Moi, j'ai couru des yourtes au feu, du feu aux yourtes,

photographié le départ de feu,

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les flammes traverser la piste et gagner les hauteurs.

Ma petite famille écureuil a du s'enfuir, quitter le grand pin, celui juste en face de la yourte où j'observais leurs ébats panachés de mon piton rocheux.

Quand GY a crié d'aller préparer les affaires pour évacuer les yourtes, je n'ai pas pu y croire. Pas voulu y croire. Mon invitée V. a démonté sa tente, mais moi, je ne pouvais pas. Ce n'était même pas envisageable. J'aurais du préparer le plus important, mais tout est important ou rien, je n'allais pas chipoter avec les flammes dans le dos, donc je n'ai rien à prendre et tout à perdre. Alors j'ai su que je ne quitterais pas les yourtes, que je lutterais contre le feu jusqu'au bout. Je n'étais pas en état de sidération, ni même paniquée. En fait, c'est allé si vite que je n'ai pas eu le temps d'avoir peur. Du début à la fin du feu, à peine une heure. Le temps que je comprenne que ma vie était à la merci d'un coup de vent, et surtout de ces gens qui fréquentent la forêt comme un pôle mécanique ou un terrain de jeu, c'est plutôt la colère qui m'a submergé.

Non, je n'ai rien à prendre dans les yourtes.

Car ma richesse, ce sont les arbres et la nature, et je sais bien que ce qui est utile dans un abri, ce qui le rend protecteur, c'est son vide. On ne peut pas emporter le vide.

Quitter les yourtes en fuyant, ce n'est pas une option.

partir yurtao

J'ai beaucoup fui ma vie avant les yourtes, maintenant je suis exactement où il faut, alors, fuir les yourtes, c'est comme si on me demandait de m'écorcher moi-même, d'enlever la dernière peau que j'ai pour amortir l'extérieur.

brulée

Je ne rejoindrais plus jamais une ville, je ne suis plus tout à fait de ce monde.

Il n'y a pas de retour au système prévu, donc pas d'évacuation.

Heureusement, il n'y a pas eu besoin d'en arriver là, le vent ne s'est pas levé et les pompiers ont fait leur boulot. Mais on a eu chaud. Je voyais à la seconde les flammes gagner sur le coté du camp et les pompiers qui s'attaquaient au sommet du feu. Et tout à coup, j'ai entendu qu'ils n'avaient plus d'eau, qu'ils avaient tout craché en haut. Alors, pendant quelques minutes, dans les crépitements, j'ai cru que c'était foutu.

J'ai pensé aux oiseaux,

oiseau mort
à Fouinette, à mon petit lézard,

lézard squelette

au tipi que je venais de couvrir, aux humbles plantes et animaux qui honorent de leur présence ces quelques acres de verdure et j'ai bien vu, très clairement, que si pour eux, il n'y avait plus d'après, il n'y en aurait pas pour moi non plus. Jusqu'à ce que j'entende de nouveau les sirènes et que deux autres camions rouges arrivent.

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GY était en train de se battre au corps à corps avec le feu, tentant de limiter la propagation vers les yourtes en tapant sur les flammes dansant sur les souches.

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Enfin, les lances ont été activées et le feu aspergé.

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Les pompiers ont arrosé assez longtemps et le vent, très gentiment,

a attendu que tout soit fini pour débouler.

Depuis, je suis encore plus souvent sur mon rocher au-dessus de la forêt,

à observer, àécouter. Je n'ai pas encore revu mes petits écureuils.

Maintenant, il va en falloir des arguments pour que j'abandonne la surveillance du camp.

visage-naturel

Quand je pense aux accusations de ceux qui jugent les installations de yourtes dangereuses, ça me fait grincer des dents. Je sais bien que le peuple des yourtes n'est pas uniforme et que nul n'est à l'abri d'imprudences et de maladresses. Mais lorsqu'on habite depuis un certain temps dans la nature, on sait qu'on ne peut compter que sur soi-même pour gérer les risques naturels. Ce qui est difficile et parfois quasi impossible, c'est de gérer les bêtises des autres.

Mon installation et mon mode de vie en plein air font de moi une vigile naturelle,

 vigile pour yurtao

aux avant-garde du danger.

yourte en avant-garde

C'est la troisième fois que la position du camp détermine la précocité du déclenchement d'alarme sur un feu de forêt local, car, les sens toujours en alerte, je suis bien placée pour détecter les premières fumées.

cabane de guetteuse

Comme cette fois il y a deux mois où je regardais un faucon dans le ciel et vu tout à coup débouler un énorme nuage de fumée dans la vallée. Et des morceaux de fougères cramés tomber du ciel devant mon nez. Je n'ai jamais grimpé aussi vite au sommet de la colline.

Mais c'était un feu préventif... Les pompiers, plusieurs camions et 4x4, beaucoup d'hommes harnachés, brûlaient un périmètre circonscrit de pinède très embroussaillé pour désamorcer le danger estival.

Les gens qui habitent en maison juste à coté n'ont rien vu, pas plus que mes voisins ce jour d'incendie de Mai, et pourtant ils étaient tout autant menacés.

J'ai donc bien assuré une fonction de détection et de prévention.

indien sur la piste

Je n'ose imaginer les dégâts si nous n'avions pas été là !

J'en conclus qu'au lieu de stigmatiser les gens comme moi, on devrait sinon nous payer, au moins reconnaître le rôle de lanceur d'alertes que nous assumons de façon spontanée et gratuite, et peut-être même créer un statut de vigile volontaire permanent en bord des villages pour humaniser la surveillance écologique de l'environnement.

oeil de la forêt

Ça va des risques naturels, sensibilité aux tremblements telluriques, observation des réactions végétales et animales,

butineuse

des coulées d'eaux, des impacts de foudre, des chutes d'arbres, etc …

aux risques dus aux humains, incendies volontaires ou accidentels, largages de pollutions diverses et vidanges en bord de pistes, déséquilibre du biotope par surplus d'interventions mécaniques, telle que la prolifération d'ambroisie très allergisante, etc.....

J'ai même vu des oiseaux choisir de s'abriter sous mes toiles !

protection oiseaux

Ici, en lisière de forêt, hormis les vieux de la vieille qui ont encore un certain respect de la nature pour avoir arpenté les vallons sauvages depuis leur enfance, un flot de gens disparates utilise la campagne comme défouloir, avec des comportements inappropriés de citadins consommateurs, clops au bec et pack de bières au poignet. Bien peu sont des randonneurs conscients et attentifs à la fragilité de l'écosystème.

Pourtant, aller à la forêt, berceau de l'humanité,

clairière forêt

devrait être comme d'aller visiter sa vielle mère.

femme des bois

Celle qui nous a conçu, désiré, élevé, gâté, généreuse pourvoyeuse dont on a abusé jusqu'à la lie, que l'homme n'en finit pas d'épuiser et de mépriser par pure jalousie, avec cet esprit de vengeance originel qu'une trop nombreuse fratrie, avec qui il rage de partager, décuple. Une visite qui devrait réconcilier avec ses racines, avec les générations, avec son histoire, avec la terre.

ame de l'arbre

Que beaucoup ne font plus que pour apaiser leur mauvaise conscience, vérolés d'une cupidité ontologique à rentabiliser la moindre balade. Comme ces adolescents qui ne vont plus voir leur parents que pour obtenir un billet. Quitte à ponctionner sur le temps de loisir virtuel, qu'au moins on en tire un bénéfice matériel.

voleurs de bois

Après tout, tout le monde fait pareil :

Les bûcherons, licites et illicites, équipés et bruyants, qui ravagent les sous-bois en prelevant les meilleurs arbres,

bois empilé

certains débardant ostensiblement et d'autres à la sauvette.

Les chasseurs rackettant les futaies, dont les balles aléatoires sont un danger majeur pour tout ce qui bouge.

Les groupes de randonneurs soignant leur capital santé et socio-culturel, et les promeneurs du dimanche et des vacances, armés de pique-niques, qui laissent sur place au mieux leurs déchets,

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au pire leurs cendres non éteintes.

Les quadistes et autres motards, fanas de rallyes et 4x4 de casse-cou, disputant la dominance sonore aux avions nettoyant leurs soutes en plein vol, zoros de la vitesse et du vacarme utilisant la voie réservée aux pompiers comme piste d'endurance, de course ou de dégazage.

A coté, les vététistes, probablement les plus cools, équipés au minimum et silencieux, que j'entends déraper dans le virage de la piste, apparaissent comme des anges malgré la sueur qui les aveugle.

Il y a évidemment les innombrables chiens du quartier

chiens bruyants

répandant les pesticides de leurs déjections oranges sur les chemins, suivis par des humains pressés, iphone aux temporaux, c'est fou le nombre de gens qui parlent haut et fort, tous seuls, sur les chemins.

Il y a les pauvres trimant, à la période très dangereuse de fin d'été où tout est souvent archi sec, à remplir de gros sacs de châtaignes pour le grossiste.

Et des plus futés qui récoltent, à la saison humide, les champignons pour les restaurants, qui espèrent revenir l'année prochaine au même endroit et donc n'arrachent pas la ressource, contrairement à ceux, qui, en tapant sur les plantes, font régner la désolation derrière eux.

Il y a les teuffeurs du week-end qui s'éclatent dans leurs véhicules ouverts au milieu d'une clairière en pulsant des décibels furibards qui dégomment tous les oiseaux. Les vibrations des basses résonnent dans la terre à des kilomètres.

Il y a aussi les jeunes du quartier qui improvisent un barbecue sur le terril abandonné et s'en vont sans éteindre leur feu. J'ai ainsi passé plusieurs nuits blanches pour aller éteindre les braises de brochettes après des passages d'écervelés qui n'ont même pas l'idée d'amener une bouteille d'eau à balancer avant de rentrer chez eux.

Il y a les enfants des écoles, des centres aérés et des colonies de vacances, ça va de la simple sortie nature à la chasse au trésor, souvent, on dirait des hordes. Après, les emballages fluos métallisés des gouters trop sucrés jonchent les bas-cotés.

Il y a quelques touristes égarés qui décryptent avec peine les pancartes à moitié arrachées, et il y a ceux qui les arrachent, ou les tordent, ou carrément les décapitent avec un outil dont on préfère ignorer la taille du tranchant.

Il y a les petits voleurs du village qui ont compris qu'on pouvait aussi ratisser les jardins limitrophes des pauvres et les masures des marginaux, espionnage préalable plus facile et larcins sans risques de vengeance.

Et enfin, on voit roder les jeunes loups BCBG qui projettent de trouer les bois de parcs de loisirs et d'attractions, mais ce n'est rien à coté de ces imposteurs de l'écologie, bardés de diplômes en développement durable, qui argumentent scientifiquement au profit des exploiteurs de biomasse comment débiter la forêt en mille morceaux pour sauver les villes.

feu feuilles

A ceux là comme aux promoteurs en mal de collines à défoncer, les incendies sont des bénédictions qui dégagent le terrain.

Tout ce petit monde franchit l'orée de la forêt devant mes yourtes pour graisser les rouages du système, et je sais que je n'ai aucune chance d'y changer quoi que ce soit, puisque la destruction environnementale est la mamelle déifiée de la croissance canonisée par tous les pouvoirs en place.

Tout juste puis-je résister en restant là, comme les derniers indiens devant leur tipi, qui ont su à leurs dépends que toujours, malgré leurs promesses, les Blancs les trahiraient et continueraient le ravage.

indienne

 

C'est un tipi bleu

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C'est un tipi bleu.

Il est arrivé comme ça, sans préparation, sans autorisation.

Heureusement qu'il y a encore des bébés qui viennent tout seuls, des bébés qui choisissent leurs parents, qui passent outre contraceptifs hormonaux, stérilets, programmations génétiques, planning familial.

Des bébés jaillissants, qui s'imposent et vous changent la vie.

C'est, depuis le temps que je me connais, toujours cette manière de concocter du nouveau en sachant sans savoir. Pas de décision, seulement une danse spontanée, un chant improvisé, des images réinventées et la lente partition de l'écoulement des jours heureux. Ça arrive au fil des mains, sans plans. Ce qui vient se pense soi-même, s'auto-génère, s'auto-produit, à l'abri des regards, des jugements, des nécessités, des profits, des projections.

Je n'ai pas fait un bébé de chair, j'ai fais un tipi bleu.

Ce qui ressemble au bébé, c'est surtout le début.

Le début d'un bébé, c'est un acte d'amour où on perd la tête pour quelqu'un qu'on incorpore, des instants de grâce hors du temps où des âmes éloignées se rapprochent et s'emmêlent. Pour un solitaire ou un artiste, l'amour et l'insémination ont lieu en esprit, dans la rencontre des inspirations et des émotions.

C'est ainsi que ce tipi qui a la couleur du beau temps, ne se contente pas d'abriter des ardeurs du soleil estival et des pluies. Il remplit une fonction chamanique. Il couve des bébés de rêve, des enfants intérieurs qui éclosent au sein des psychés indiennes.

A celles qui déchaussent leurs sandales et s'allongent sous le tipi bleu, un enfant sage aux cheveux d'argent apparaît la nuit, enfant mystique naissant sur l'onde intérieure comme le lotus sur le lac, serein, disponible, épanoui. La femme émerveillée qui tient cet enfant dans ses bras s'abandonne alors toute entière à cette maternité initiatique.

maternité cosmique

Il faut tendre l'oreille et savourer le silence avant d'entendre murmurer les esprits du tipi, car ils ne délivrent leur message qu'aux élus du grand rêve.

C'est un tipi bleu et il est magique.

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Un jour, j'ai réuni trois grandes perches de jeune pin que je ne savais où mettre pour ne pas encombrer, je les ai monté en trépied là où il y avait de la place et oùça n'en prendrait pas, au dessus du cercle de pierre où je cuisais mes galettes et ma soupe.

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Justement passait par là une jeune fille qui m'a aidée, on a lacé au sol les trois perches longues et lourdes et on les a monté en poussant.

Après, chaque fois que j'abattais un jeune pin que je ne pouvais laisser proliférer, je savais quoi en faire, pas le laisser traîner en vrac. D'abord je l'épluchais, je lui enlevais l'écorce à la plane pour empêcher les vers de le ronger. Puis je le rangeais sur le trépied, écarté, ce qui a commencéà délimiter une circonférence.

faisceau tipi yurtao

Si je n'y arrivais pas toute seule, j'attendais le prochain copain pour me donner la main. J'ai récupéré aussi de belles perches d'acacia lorsque j'ai dûéclaircir ma futaie. Dans le cercle, un espace s'est créé, avec les perches marquant une ligne invisible. Comme du coup on s'y tenait plus souvent, j'ai vu que le sol était vraiment pentu et j'ai donc ramené la terre du haut pour aplanir. Une estrade est née, avec une petite murette arrondie pour s’asseoir près du feu, et même y dormir. Finalement c'est devenu là où on s'allonge le mieux.

Là où on rêve le mieux.

C'est de là que, perdue dans la contemplation du cône formé par les perches,

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j'ai commencéà entendre parler mon tipi.

Quand il m'a demandé d'aller suspendre des drapeaux au bout de ses perches pour flotter dans le vent qu'il voulait comme amant, j'ai obtempéré avec fébrilité.

Il me restait bien quelques satins cramoisis et taffetas mordorés,

mais il voulait des couleurs franches et gaies,

deux drapeaux tipi bleu

des tissus vaporeux, brillants, souples et légers.

drapeaux tipi bleu yurtao

J'en ai trouvé pour pas cher au marché arabe,

au moins eux, ils n'ont pas peur des couleurs.

franges yurtao

J'ai négocié des tissus dont les fibres synthétiques résistent mieux que le coton aux intempéries, certains bardés de fils dorés et argentés, d'autres carrément phosphorescents.

Des trésors de miroirs pour le roi soleil.

Les drapeaux ne sont jamais pareils dans la lumière, ils tressaillent et se soulèvent à chaque brise, c'est un cinoche permanent entre les plis et les reflets, les entortillements et les claquements, et quand les fleurs s'y mettent, ça frise l'euphorie.

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Le vent les emberlificotent souvent autour des perches, le tissu s'effiloche et accroche le bois avant de se figer en position enroulée. Ça génère une activité susceptible de devenir un emploi d'avenir :

veilleuse de bannières. (code ANPE *0*0*0*)

L'artdefaireflotterlesdrapeaux, comme d'autres jeux éoliens, est toujours susceptible de perfectionnement, en particulier les jours de vent, car pour maîtriser leurs voltiges aériennes, il faut savoir les dégager, les démêler et parfois les fouetter avec une vielle canne à pèche récupérée dépiautée de ses ferrures. Au début, je cousais des petites lanières en accroche. Après, j'ai cousu carrément des tubes de toile étanche à enfiler comme des chaussettes sur le bout de la perche, le haut du drapeau étant piqué dedans. Du coup, le tissu qui s'envole glisse sur le bois et le drapeau flotte plus longtemps.

drapeaux tipi yurtao

Encore une démonstration que quand on se met à créer sa propre vie, (ça commence souvent par la fabrication de sa tente et de ses piquets), ça ne s'arrête plus. On devient les pires syphonneurs du système, puisqu'au lieu de pointer au chômage et de faire semblant de chercher du travail, on devient parfaitement autonome en inventant ses occupations et ses satisfactions.

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Après, je me suis mise à la couture de bâche.

Je voulais juste couvrir mon feu.

J'ai fouillé mes toiles, des chutes de toutes dimensions tombées des grandes tables de couture de mes artisans de store attitrés. Le bleu n'était pas dominant mais justement je l'ai sélectionné. J'ai cousu une toile en patchwork en assemblant des bouts unis ou rayés, croisant toutes sortes de bleus, du cobalt à l'azur en passant par l'outremer, certains avec des bandes chromatiques, entre blanc et indigo.

Je savais que la toile d'un tipi, c'est un demi cercle qu'on referme. Mais mon tipi n'avait rien de classique, ni rond ni ovale ni carré, épousant seulement le terrain, je n'ai donc rien calculé. J'ai cousu au fur et à mesure, à l'intuition, une toile en porte-feuille. L'intuition, ça marche neuf fois sur dix, la dixième ratée n'impliquant rien d'autre qu'un nouvel essai et des ajustements.

En même temps, j'ai assemblé plein de minichutes

en prévision d'un allumage psychadélique du dedans.

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Je ne couds que quand il pleut,

quand je supporte mieux de rester enfermée.

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Il a plu pas mal cet hiver, alors le tipi a avancé.

J'en ai profité pour ciseler des soupiraux de cristal dans une percée de jaune,

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incrustation d'étoiles, de coeurs et de fleurs en lumière du jour,

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et j'ai cousu des bandes de franges multicolores

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pour border le bas de la toile .

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Pour monter le tout sur les perches,

j'ai fabriqué une échelle

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sur laquelle je ne me suis pas attardée, car malgré de bons sanglages,

c'était quand même assez périlleux.

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Mais quand je me suis assise pour la première fois sous le tipi bleu,

un flot de bonheur m'a saisi.

La lumière filtrée, tamisée, enrobait le cercle d'une douceur diaphane.

C'est là, dans le repos de l'âme repue, que j'ai vu danser des chamans pleins de plumes et de franges au milieu des tambours.

J'ai alors accrochéà l'intérieur du tipi des mètres de guirlandes en tissus multicolores pour leur signaler une hospitalité sans réserve.

Des brides de toiles rugueuses à l'extérieur

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et des popelines et des nylons soyeux à l'intérieur.

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Parce que le tipi,

avec sa pointe qui darde vers les cieux,

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c'est comme la yourte,

c'est un microcosme où les dimensions matérielles

s'étirent loin dans l'invisible.

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A la frontière du solide,

les effets de lumière, de couleurs et de sons,

de quoi faire venir les chamans

élargissent l'espace en appelant la vision intérieure,

d'où s'égraine le grand collier de diamants qui relie le ciel et la terre.

J'ai accroché quelques lanternes à lumignons,

elle accroche des lumignons dans le tipi bleu

puis allumé mon premier feu couvert.

La fumée est montée vers le faisceau des perches pour s'échapper

par les oreilles grandes ouvertes du tipi,

les franges se sont mises à balancer,

le bleu à rayonner de reflets chauds,

et tout est devenu transparent et limpide.

Alors les chamans se sont installés.

chamans yurtao

C'est un tipi bleu, accrochéà la colline, on y vient à pied,

ceux qui viennent là trouveront peut-être

les clefs du grand rêve.

jaune et bleu en tipi yurtao

C'est un tipi bleu,

un parloir à esprits,

djembé chamna yurtao

non répertorié dans le code de l'urbanisme,

aucun fonctionnaire n'en attestera la fin des travaux,

car ce tipi bleu, avec le vent pour amant,

il ne sera jamais fini, jamais cadastré.

Mais nul n'a besoin d'être achevé

pour être merveilleux.

tipi bleu sur l'herbe

 

 

Faire peur aux oiseaux

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Maintenant que je suis loin de vous,

femme oiseau yurtao

qui voulez encore et toujours plus

alors que j'ai assez de tellement moins,

sachez que je ne reviendrais pas dans vos mirages.

Je n'ai rien à partager avec vous si vous ne lâchez pas

vos écrans, vos opinions et votre volonté de puissance.

Ce que je veux surtout,

c'est ne plus jamais faire comme vous,

dont les oiseaux ont peur.

Chacun de vos pas provoque la fuite, la répulsion.

Vous faites peur aux arbres, aux enfants, aux animaux,

Cerf

aux vierges, aux vieilles, aux indiens et à vos voisins.

Votre mode de vie dégénéré,

avec vos armes, vos poudrières, vos consoles, vos bolides,

crapaud crevé

et vos poisons partout dans l'air, l'eau et la terre,

ressemble à un monstre insatiable

qui ne s'arrête jamais de dévorer ses enfants.

Votre société est devenue une calamité, une hydre maléfique.

L'évolution du singe que nous étions, qui est descendu des arbres

et s'est socialisé pour mieux se protéger, est devenue,

au fil des déforestations, une voie sans issue.

cabane sans issue

Depuis que je vous ai quitté, depuis que les arbres m'ont accueillie,

j'ai appris combien est vivant ce que vous massacrez

à coup de bâtiments, de forages, de fissions et de goudron.

Dans le silence et la solitude, j'ai appris àécouter

les murmures des vivants qui vous ont échappé.

Pour l'instant.

Plus j'écoute et plus ils s'approchent.

femme papillon

C'est long en silence de se faire adopter.

Je suis rentrée lentement dans un îlot de ce sauvage

que votre civilisation et vos religions de vandalisme salissent et assassinent.

Ces humbles et ces furtifs tapis dans les futaies me reconnaissent

et je chante avec eux.

C'est une sacrée expérience de comprendre un jour

que les oiseaux qui accourent quand on s'assoie pour siffler

reconnaissent en soi l'innocence qui ne les exterminera pas.

 becquée moineaux

Il arrive ainsi à quelques-uns, pas beaucoup,

de faire un pas de coté pour sortir de la masse

et ne plus rien ajouter au chaos.

Il arrive qu'un jour, au lieu de se détourner

du massacre de l'écosystème au profit de son confort,

on retourne dans la forêt ou sur une plage déserte

pour pleurer et demander pardon.

femme aux corbeaux

Je ne reviendrais plus parmi vous, qui n'écoutez pas, jamais.

Je veux rester jusqu'à mon dernier jour assise au milieu des oiseaux,

je ne veux plus qu'un seul d'entre eux s'enfuit parce qu'il a peur de moi.

C'est ma seule ambition et elle est énorme, au vu d'où je viens.

Vous voyez donc bien que je suis perdue pour votre monde hurlant

qui n'est que trique contre la beauté et que haine contre la paix.

Alors ne venez plus me voir avec vos affaires en vrac

et tout ce tintamarre qui vous déborde,

je ne suis pas une récréation insolite sur votre agenda,

ni une biche effarouchée à apprivoiser pour épater les voyeurs,

ni une arrièrée coincée parce qu'elle refuse la perversité.

Ne venez pas avec vos miasmes en pétard car je n'ai pas de baguette magique

pour vous évacuer du bourbier où vous êtes enlisé.

voie sans issue

Et si vous croyez adoucir votre mauvaise conscience

en venant avec des cadeaux, vous n'en tirerez que colère

car je résisterais à vos avances.

parler aux oiseaux

Je vous laisserais pester votre venin contre cette femme qui se dérobe,

car votre martialité ne pourra jamais croire

macho

qu'une femelle ne veuille rien de vous, à part que vous l'oubliez.

Il n'y a rien à vous donner, vous êtes déjà plein.

Il faudrait vous vider de tout ce dont vous vous êtes servi à profusion

grâce à votre peuple de voleurs qui se dispute rapines et butins.

Autour maintenant, tout est abîmé, tout est épuisé.

Ce qui reste, ce qui survit,

ne vous veut pas

tant que vous n'aurez pas lâché

tout ce qui fait peur aux oiseaux.

yingyang        yingyang          yingyang

Extrait de « Parler aux oiseaux. » de Amaki Otawha.

Éditions du Sauvage, Confins, 2024.

 

 

Nouvelles d'autres yourtes

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yurtexterior

Une chanson pour défendre la source d'un yourteur

http://www.lavenir.net/article/detail.aspx?articleid=DMF20140423_00466429

Un procès contre une yourte gagné :

Un commerçant de Saint-Bonnet-en-Champsaur, poursuivi pour avoir installé une yourte sans permis de construire, a été relaxé en Avril 2014 par le tribunal correctionnel de Gap. La présidente, Josiane Magnan, a précisé que cette habitation, « démontable et sans équipement permanent », ne « revêtait aucun caractère de permanence » justifiant un permis de construire.

Âgé de 57 ans, le prévenu vit depuis plusieurs années dans cette yourte installée sur un terrain appartenant à son frère. Il avait expliqué, lors de l’audience du 20 mars dernier, avoir « toute sa vie » dans cette yourte, qu’il chauffe au bois en hiver et qu’il déplace régulièrement.

Le parquet avait considéré qu’un permis de construire s’imposait, et avait requis 3.500 € d’amende à son encontre. Pour la défense, Me Di Nicola avait souligné qu’il n’y avait ni sanitaires, ni cuisine dans cette yourte, en avançant que cette habitation était comparable à une tente avec une structure en bois.

http://www.ledauphine.com/faits-divers/2014/03/21/permis-ou-pas-permis-il-comparait-a-cause-de-sa-yourte

yourte sur le prè

 

Une fête des yourtes en Juillet 2014
L'association Vallée d'Humbligny (http://valleedhumbligny.org) communique qu'elle organise un chantier participatif pour construire une yourte contemporaine libre de 50m2 avec des murs de 2,20m.
" Pour son financement, nous avons lancé appel à générosité (adresse ci-dessous) et nous organisons également une fête de soutien:

la Fête des Yourtes les 19 et 20 Juillet prochain.

Ce sera un week-end constructif certes, mais pas uniquement ! Concerts, discussions, grand repas, pic-nic, activités pour les enfants. Venez camper !
Pour l'occasion, nous souhaitons mettre un fort accent sur la documentation afin de publier en ligne sur un site internet dédié un modèle de yourte d'habitation libre (au sens de logiciel libre) afin que chacun puisse se fabriquer et améliorer un modèle de yourte juridiquement déposé comme bien-commun non-marchand.
Plusieurs adresses:
- L'appel au don (en argent, en matériel ou en temps de coup de main) pour réaliser ce modèle de yourte: http://valleedhumbligny.org/appel-a-generosite
- le site pour la fête ! http://valleedhumbligny.org/fete-des-yourtes
- Inscriptions pour le chantier:http://data.lapixelerie.net/owncloud/public.php?service=documents&t=955c941a8691db12c7c6a7edcc481267

Les associés de la Vallée d'Humligny.

double couronne de yourte

 

Enfin, dans la série

Gentrification de la yourte:

Où l'on voit comment l'Etat et le capitalisme récupère la yourte :

http://www.sudouest.fr/2014/06/23/cognac-les-yourtes-a-500-000-eur-pour-le-lycee-jean-monnet-passent-mal-1594042-882.php

http://www.donnetonavis.fr/a-la-une/article/24/06/2014/clientelisme-jean-paul-huchon-fait-politique-guichet_38378.html

Une yourte en Mayenne à 36 000 euros avec la bénédiction du maire :

http://rue89.nouvelobs.com/2014/05/13/yourte-mayenne-36-000-euros-benediction-maire-25212

Echologia, parc écologique avec l'inévitable yourte

http://www.tourmag.com/Echologia-le-1er-parc-ecologique-d-Europe-vient-de-rouvrir_a67388.html

Et même une yourte chrétienne

http://www.chretiente.info/201405295820/ouverture-du-collge-de-linstitution-bienheureux-marcel-callo-83/ 

Une yourte à 12 000 euros subventionnée en Ile de France pour des vélos bricolés en triporteurs indigne les réacs de droite qui supportent pas les projets « originaux » et diversifiés.

http://www.observatoiredessubventions.com/2014/les-plus-folles-subventions-de-la-region-ile-de-france/

 

* Et pour finir, de belles petites choses

yourte petite

Yourte spectacle nomadisant en chevaux et roulotte

http://www.ouest-france.fr/au-petit-changeons-la-fete-avec-les-passagers-du-vent-2644441

et

Une chouette création de yourte en lirette, à Couvin en Belgique

yourte lirette couvin

 

 


L'immensité d'oùça vient

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yourte dans les fougères yurtao

Ce n'est pas seulement là où je suis.

C'est l'immensité d'oùça vient.

C'est la clarté et le silence d'où c'est né.

Ce n'est pas seulement la yourte

et pourtant, ce n'est que la yourte.

Dans cette peau bien mince autour d'un cercle vide,

dans cet espace à peine couvert, on peut, à partir de rien,

écouter le monde entier palpiter.

Au début, il n'y avait pas de conceptions sur la yourte.

Il y avait sur des images la façon dont c'était fait,

mais socialement, ici, il n'y avait pas de modèles, pas de pressions.

C'est peut-être grâce à cette absence de représentations,

avant les marchands,

que j'ai vu combien la yourte n'était pas qu'un abri

et combien plus qu'une tente.

C'est en partie grâce à l'absence de prescriptions du système

que l'œil limpide a pu s'ouvrir dans cette intimité.

Une vision grande ouverte qui m'a fait rencontrer la liberté du dedans.

C'est étrange comment, de la limite qu'on s'impose en clôturant un tout petit cadre et en retournant le regard vers soi, peut naître une conscience tellement large, un regard si vaste, une joie si profonde, capables de franchir le manifesté et s'établir dans la durée.

La yourte peut bouger partout. Elle se replie et s'en va.

Pourtant, c'est là que je me suis fixée

et que j'ai arrêté de chercher ailleurs la meilleure place.

Maintenant que je reste immobile,

pas un jour sans huiler les gonds de la perception,

pas une nuit sans fêter les noces de l'océan avec le firmament.

Je reste immobile sous le vent comme un arbre, et mes racines s'étendent dans la forêt, calmement, dans le noir profond de la terre. Alors l'incommensurable réseau de connexions du vivant se creuse et m'enfonce aux origines du monde. Plus je descends, plus j'approche le centre de la terre, jusqu'à découvrir un espace vide d'où est pulsée la matière.

Je reste immobile sous le vent comme un oiseau chantant le printemps, emportée dans le ciel et planant sur les courants d'air, et mes ailes s'étendent de plus en plus loin dans une transparence d'azur et de nacre. Alors l'imperceptible filet d'oxygène et d'ozone qui entoure le monde me propulse aux confins de l'univers, et plus je monte, plus mon œil s'agrandit, plus la terre rapetisse, jusqu'à flotter sur l'espace vide où s'orbite la matière.

Je reste immobile sous le vent comme une grenouille au bord de l'eau à livrer mes têtards aux ondes qui s'en vont dans le flux de la rivière. Alors l'impondérable fragilité de la vie m'emporte dans le ventre d'un poisson gobé par une baleine jusqu'aux soutes digestives du vivant. Plus je suis digérée, plus je saisis l'impérieuse nécessité d'un estomac vide à appeler le destin de tonnes de matières.

Je reste seule et tranquille sous le vent comme une ourse sur la banquise qui fond, attendant le phoque qui ne vient plus se faire prendre, et plus j'attends, plus la glace se délite et plus la mer s'ouvre. Le trou reste vide, il ne donne plus de matières et quand l'ourse s'affale,

le rêve s'arrête et c'est le réveil.

Alors je vois d'où est pulsée la matière,

pas de là où je suis,

mais de l'immensité au-delà de mes pieds, de ma tête,

au-delà de la yourte et de la colline,

ondes engendrées du vide impérissable

d'où naît la porte que « je suis ».

 

soleil chataigner yurtao

 

Fourmis dans les toiles

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fourmi inquétante

C'est petit mais les dégâts sont gros.

Quand une colonie de fourmis décide d'aller d'un point à un autre et qu'une yourte se trouve sur son chemin, cet obstacle n'équivaut guère plus pour elle qu'à un toboggan sur un parcours de santé. Le partage du foyer s'avérant vite problématique, mes plus gros cas de conscience me sont généreusement octroyés par ces petites bêtes laborieuses et très organisées.

Fouinetteà coté, c'est de la roupie de sansonnet.

Car Fouinette est tapageuse, capricieuse, et si elle casse, elle le fait savoir bruyamment.

Avec les fourmis, on n'entend rien et un jour, ça tombe, entièrement délité.

Ce qu'aiment en premier les fourmis, ce sont les tunnels.

En deuxième, les tunnels bien dégagés en ligne droite.

En troisième, des compartiments entre les tunnels pour pondre et stocker,

couver, crécher et hiberner,

et en quatrième, de la chaleur et une bonne hygrométrie.

Or, qu'est-ce qui présente ces caractéristiques harmonieusement réunies dans la yourte ????..................

(Réfléchir un peu avant de lire la suite SVP sinon c'est trop facile..................)

*****************************************************************

Réponse :

Une belle perche de toit en bambou, nouée au treillis, emboîtée dans un trou de la couronne, d'une longueur d'au minimum deux mètres cinquante.

Ce genre de perche, c'est un parcours d'athlétisme aux jeux olympiques, ou le stade du mondial, appliqué aux fourmis. Elles veulent toutes y aller.

La fourmi n'aime pas le vieux bambou gris abandonné dehors, qui attend une utilisation future où caser ses performances mineures.

La fourmi veut le bambou de luxe.

bambou avec perle de bois yurtao

Elle veut le bambou raffiné, aristocratique, isolé,

surtout pas duppliqué en série.

bambou perches de toit yurtao

Elle veut un bambou frais, bien sec, parfaitement fonctionnel, d'un beau jaune brillant, le bois lisse, sans trop d'anneaux, judicieusement aéré par des petits trous percés pour faire circuler l'air, ou mieux, un bambou présentant quelques fissures longitudinales pudiquement entrouvertes, mais un bambou sans originalités intempestives comme les hasards de la croissance savent si joliment en superposer à la base de quelques spécimens au démarrage tortueux, donc un bambou bien équilibré, majestueusement vertical et rectiligne, suffisamment long pour favoriser un lâcher prise excitant avec des records de vitesse et de portage, dont les branches ont été coupées bien raz de la tige, suffisamment large pour que les croisements n'occasionnent pas de pauses improductives, juste une courtoisie d'antennes couvrant leur com chimique,

fourmis croisées

bref, un bambou sélectionné et apprêté soigneusement par une auto-constructrice de yourte avertie.

L'invasion commence bien entendu au printemps, quand tout se réveille et s'apprête à se jeter sur la yourte pour n'en faire qu'une bouchée : nuages d'insectes voraces, hyménoptères velus, rongeurs besogneux, mammifères mécontents de l'entaille dans leur pourtour de sécurité, végétaux véhéments marcottant ou drageonnant sauvagement, herbes allergisantes à l'assaut des friches, etc...

Au moment où l'on remercie ingénument le ciel de l'abondance généreuse de fleurs parfumées qui embaument la yourte, la nature végétale et faunique rappelle vertement au partage équitable de ses fruits entre tous les vivants, forte d'une légitimité puissamment plus fondée que la nôtre si on se base sur l'ancienneté, et donc la primauté de l'habitus. 35 millions d'années que les écureuils grignotent des pignons sur de vénérables pins géants et seulement 200 000 ans qu'homo sapiens a émergé de l'évolution, ça en impose, surtout si on a pas noyé son respect des ancêtres dans l'asphalte et les actualités.

Mais surtout, sachant que nous partageons avec les fourmis, d'une part, par une organisation sociétale et un pouvoir imbattable de colonisation, la suprématie absolue sur toutes les espéces vivantes à 97 pour cent solitaires, d'autre part que les fourmis sont capables de performances atléthiques et architecturales largement supérieures aux notres, il y a de quoi sinon se pamer, du moins se tenir à carreau et aux aguets.

L'invasion de fourmis est totalement sournoise.

On ne voit rien jusqu'à trouver des petits amas bizarres sur le tapis. Parfois carrément des spectres de fourmis, qu'on balaye, et le lendemain, il y en a tout autant. Évidement, quand on commence à se sentir gêné par quelques fourmis sur le tapis, c'est trop tard, l'invasion est avérée. D'ailleurs, les fourmis sur le tapis ne sont pas vraiment pénibles puisqu'elles sont mortes. Les vivantes sont silencieuses, on ne se doute de rien jusqu'à la découverte soit d'un tas de poudre, soit du premier cadavre. Puis plein de cadavres. Toujours au même endroit. A l'aplomb de la couronne. Et plus particulièrement de part et d'autre des deux mats. Et dès que la température dépasse une vingtaine de degrés.

J'avoue avoir passé des heures avec ma balayette à râler sans comprendre. Me dévissant le cou pour trouver la fissure coupable. J'avoue avoir fini par comprendre un peu mais pas tout, et surtout j'avoue n'avoir pas réglé le problème. En forêt, rien n'est jamais définitivement acquis, tout est question de négociations, de compromis, de petits arrangements. Mais une chose est certaine : je n'ai jamais envisagé de reculer, de retourner aux moeurs urbaines me débarrasser de ce genre de problèmes par l'extermination à coup de chlore et de pesticides. Je sais qu'il n'est pas à mon avantage de négocier avec les grands prédateurs de l'administration technonormative qui finissent toujours par nous menotter à vie dans des cages, tandis qu'avec les animaux, pour peu qu'on les respecte, on arrive à trouver une brèche où se poser sans foutre en l'air leur habitat et en gardant sa liberté. Même s'il y a de quoi se méfier d'un peuple minuscule dont la masse exède le poids de l'humanité, capable de consommer plus de viande que les lions, les tigres et tous les loups de la planète réunis.

fourmis menacantes

Mais je n'ai pas l'arrogance du durable, toute installation, d'une saison, d'une année ou d'une vie, n'est jamais que provisoire, quoi qu'en contestent les hommes édifiant encore et toujours la tour de Babel.

Donc, dés qu'il commence à faire chaud, il pleut des fourmis mortes sur mon tapis.

C'est vrai, j'ai aspergé un peu de pyrèthre sur ma couronne pour décourager les frelons, donc peut-être que les fourmis subissent des dommages collatéraux. Puis un jour que je méditais tranquillement sur mon zafu noir, j'ai senti une drôle de poussière tomber sur mon bras. Je lève la tête et ne vois rien. Respiration.

Ça recommence. Cette fois, je bondis sur mes jambes, verticalise un bâton à l'aplomb de cette étrange sable amoncelé sur mon tapis de prière. J'enlève un dessin coincé entre deux perches, il en tombe de la sciure très fine. Éberluée, je découvre alors un trafic silencieux mais incessant sur ma seule perche en bambou, une perche de remplacement, une foule de fourmis montant jusqu'au toit en ligne droite, redescendant avec une célérité coriace, se croisant poliment, toutes antennes érigées, très affairées.

Ce qui tombe, ce sont soit des résidus de leurs forages dans la perche, soit des matières de remplissage et d'aménagement de leur immeuble. Ma couronne constitue leur véranda ou leur solarium, bien que certaines y laissent leur peau.

Bon là, si je ne veux pas que la yourte soit entièrement colonisée, pas de sentimentalisme : je brumise du pyrèthre et fais le croque-mort pendant quelques jours. Procédé virulent que je n'ai pas adopté dans deux autres situations similaires où j'ai accepté de verser mon dûà l'altérité animale.

Leur toute première attaque trés sérieuse m'a coûté quinze jours de boulot. J'avais stocké dehors pour quelques mois, sous une bâche plastique, le toit en store de ma grande yourte. Quand j'ai voulu le récupérer, j'ai découvert une colonie de grosses fourmis noires installée dans les plis. Et quand, après les avoir chassé, j'ai déplié ma toile pour la remettre en service, je n'ai pu que constater le désastre.

Je ne sais pas si les fourmis se régalent de la toile, puisque je n'ai pas retrouvé de miettes de tissu, mais ce qui est certain, c'est qu'elles la perforent allègrement, avec une gourmandise ravageuse, pour y construire la ville de leur rêve. Ma toile de toit n'était plus au pire qu'un gruyère, au mieux une dentelle !

35 mètres carrés de toile laborieusement cousue, avec lanières, lacets et sanglages intégrés, rendus inutilisables par des centaines de mandibules acharnées. Pas question de repasser cette toile très lourde sous la machine à coudre, puisque tout l'enjeu de sa confection a justement été d'assembler les lais les uns après les autres pour minimiser l'amplitude à tirer sous le pied de biche. Restait à essayer de boucher les trous, tentative dérisoire contre les infiltrations, patcher dessus ou dessous, ou même des deux cotés. On ne rigole pas avec l'étanchéité.

Finalement, au lieu de carrément jeter mon toit foutu, j'ai collé du chatterton orange sur les trous dentelés, mais sans aucune conviction d'empêcher l'eau de s'y faufiler.

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Et au lieu de monter la yourte normalement, je l'ai monté sans isolation, en inversant les couches de toile externe.

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En effet, depuis la tempête de 1999, je superpose systématiquement deux couches de store sur mes toits de yourte. Le résultat est probant, je n'ai plus de gouttes d'eau intempestives. Quand au bout de quelques années, la toile externe est vraiment sale, parfois mitée au Nord par les champignons, et que je commence à douter de son efficacité, je rajoute tout simplement une nouvelle couche de toit en store pardessus, généralement en deux fois, puisque j'ai opté pour des toits en portefeuille, moins lourds à porter. Je n'ai donc pas jeté mon gruyère. J'ai profité des reflets de lumière jouant sur les rayures de couleur de ma yourte non isolée, les blessures de la toile ponctuant le grand mandala comme les élucubrations cubistes d'un peintre abstrait, j'ai campé dansla yourte

tente dans yourte yurtao

et me suis dépêchée de recoudre un nouveau toit.

Le toit de ma grande yourte est donc constitué de trois couches de store pardessus les quatre ou cinq couches de couvertures.

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C'est le secret de la longévité de mes yourtes, et surtout du confort de n'être pas mouillée et d'avoir rencardé bassines et serpillières.

J'avais déjà vu les toiles entreposées chez mon fournisseur mangées par les rats. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle il préfère se débarrasser de ses chutes plutôt que de les entasser.

J'ai déjà exposélà le problème posé par le choix d'une toile de tente se rapprochant le plus possible de critères écologiques, et la panoplie de compromis opérés par les fabricants et les auto-constructeurs de yourtes, dont moi-même. Ainsi, sachant que les toiles acryliques de fabrication française de plus en plus utilisées pour les yourtes à cause de leur indubitables qualités de tenue dans le temps, comportent des nanoparticules, et que les animaux adorent absorber ces substances chimiques extrêmement dangereuses pour l'écosystème, il n'est pas possible de justifier de l'innocuité de ces matériaux et d'espérer une empreinte écologique vierge.

Certes pour ma part, je n'encourage pas la production de ces toiles à nanoparticules puisque je n'utilise que des chutes destinées à la poubelle, mais je me sens quand même responsable d'un impact préoccupant sur mon environnement.

Dont les fourmis.

Récente expérience très philosophique :

depuis trop longtemps, les perches de ma dernière yourte attendent leur prochaine destination sous des bâches de protection en plastique tissé bleu. Bâches au pétrole et autres saletés chimiques adorées elles aussi par le très gourmet peuple des fourmis. Mes perches sont carénées dehors faute de cave, sur deux palettes censées laisser circuler l'air et empêcher l'humidité de remonter. Vu que trois années se sont écoulées sans que je soulève les bâches, je redoute, maintenant qu'arrive l'heure des relevailles, une mauvaise surprise en moisissure. Mais quand, d'un grand geste courageux, je soulève mes protections, ce n'est pas de la pourriture que je trouve, mais des milliers de larves blanches

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grouillant au milieu de milliers de petites fourmis paniquées par mon intrusion.

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Je n'en ai jamais vu autant d'un coup.

Soulever le capot d'une fourmilière, c'est comme trouver dans son télescope une nouvelle planète lilliputienne et l'arracher aux ténèbres. Mon intervention provoque un charivari monstre. J'approche en plusieurs tentatives car les bestioles envahissent mes sandales, mes mollets, et parfois me piquent, ce en quoi je ne saurais leur en vouloir vu que je les déloge.

Et là, je découvre les tas de miettes bleues

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et la seule perche en bambou du lot complètement occupée.

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Toutes les autres, en pin, acacia ou châtaigner, n'ont pas été touchées. Le bambou, encore, focalise le béguin obsessionnel des fourmis. Mais je précise, le bambou long. Les bambous de deux mètres de ma petite yourte, trop courts, sont fort heureusement boudés.

Fascinée, je contemple entre deux piqûres l'extrémité du bambou bouché, suintant de terre noire grumeleuse, d'où s'agitent des flots de fourmis affolées.

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J'imagine dans les tubulures du bambou les alvéoles des magasins, les chambres à couvain, et même la loge royale d'une reine prolifique dont je suis en train d'éparpiller les progénitures. Les petits œufs blancs ovales, chahutés et culbutés, ne supportent visiblement pas l'air et la lumière, la plupart se dégonflent et s'assèchent, tandis que les nourrices tentent désespérément de les évacuer.

Les larves et les nymples

nymphe

ne sont guère mieux loties, et j'ai beau leur murmurer que je suis navrée,

le capharnaum bat son plein.

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D'accord, je leur cède la perche, qui devient illico une fourmilière mobile que je transporte un peu plus loin. Et je leur sacrifie une toile bien ajourée... histoire de leur offrir cette nano-gourmandise qui risque de signer la fin des écosystèmes et nous rassemble tous, sociétés de fourmis et sociétés d'humains, dans l'erreur fatale de la super-rationalité.

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Puis je découvre une perche de châtaigner recouverte de crottes de campagnol

et juste à coté, dans un petit renfoncement,

un joli et attendrissant petit nid d'herbes.

nid de campagnol yurtao

Ouf, que de monde dans mes yourtes !

Bon, je n'ai pas détruit de fourmis, à part par inadvertance.

Si on a dans sa religion la prescription de ne tuer aucun animal, alors la vie en yourte est impossible. J'avoue avoir tué des fourmis, parfois volontairement, le plus souvent involontairement, et je sais que j'en tuerais encore, inévitablement. Mais je n'ai aucun désir d'extermination, aucune colère, aucun esprit de vengeance, comme je l'ai vu chez quelques compulsifs qui croient que tout ce qui existe, même les objets, ne pense qu'à les défier. Je tue parfois par exaspération, surtout les moustiques par claques instinctives, mais le plus souvent, parce que je ne sais pas quoi faire ou qu'il est trop compliqué de faire autrement. Je sais maintenant que la prévention est la meilleure des solutions, mais je sais aussi qu'avec la nature, on n'a jamais le dernier mot. Et que tôt ou tard, tout se paie, car un tout petit geste perpétré dans l'écosystème entraîne une infinie et imprévisible Némésis.

J'aimerais bien copiner avec les fourmis de façon plus fructueuse, comme les arboriculteurs Chinois qui accrochent des bambous entre les arbres pour servir de pont aux fourmis Ecophylle. Ces fourmis rouges agressives et avides d'insectes, dont le nid est déposé directement dans les orangers, nettoient gratuitement les agrumes de leurs parasites. Mes banales fourmis occidentales, des Formica non encore esclavagisées par les Argentines-Attila, nichent carrément dans mon bambou et circulent à mes dépends, sans que j'ai encore réussi à trouver comment détourner à mon avantage leur travaux sanitaires.

Après trois jours, toutes les fourmis ont disparu de mes perches et de mes bâches que je peux replier ou jeter.

Et j'oublie les fourmis. fourmi joyeuse

J'abandonne coupablement la préoccupation de leur relogement,

persuadée que dans la société des fourmis, jamais aucune d'elle ne finit SDF.

 

fourmi sdf

Je jette un œil rapide sur la perche en bambou écartée, qui semble fort calme, sans me demander où sont passées ses habitantes.

Jusqu'au jour où j'aperçois par hasard une étrange poudre recouvrir la composition minérale que j'ai dessiné au sol sous ma chapelle.

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Belle chapelle dédiée au Dieu du Vide que j'ai improvisé l'année dernière avec des bois de micocouliers martyrisés. Des guirlandes de tissus bigarrées suspendues au clocher pointu frétillent sous la bise.

guirlandes de la chapelle yurtao

On passe devant la chapelle quand on vient ici, et c'est joli.

rubans chapelle yurtao

Les visiteurs s'arrêtent, et c'est bien.

Pas tous. Seuls ceux qui ont un peu de Vide disponible.

Ceux là regardent la chapelle d'un air content et entendu.

Mais la chapelle va s'écrouler.

Ma chapelle va s'effondrer bientôt.

Pas parce que je n'ai pas ficelé l'ensemble.

A cause de l'appel du Vide.

J'ai découvert un trou,

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puis des trous dans le bois.

Plein de trous.

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La poudre jaune répandue sur les galets tombe d'une myriade de trous ronds percés dans le bois mort. Et je vois une multitude de fourmis s'y engouffrer.

Partout des trous et partout des fourmis, en train de dévider la charpente de ma chapelle.

C'est une question de jours.

La structure de ma chapelle n'est plus qu'un gruyère assidûment grignoté.

Je croyais que les champignons blancs dont sont tapissés les branches allaient pourrir le bois lentement en quelques saisons, ou que le vent, tôt ou tard, aurait raison de ma structure aléatoire, ou un gros animal, ou des enfants chahuteurs.

Mais non, les fourmis n'ont pas choisi le tas de bois mort juste à coté, trop piteux à leur goût, ni la réserve de branches de châtaigniers biscornues qui attendent mes velléités de sculpture, ni les beaux piquets d'acacia tout prêts à amarrer une future tente, ni les planches planquées sous une appétissante toile acrylique à nanoparticules multicolores bien délavées, ni les fagots du prochain hiver, ni le vrac de souchards en attente de paufinage, non, les fourmis ont choisi sciemment, avec une intuition et un éclectisme confondant, l'architecture anticonformiste de mon oratoire, prévoyant, avec un flair implacable, que je n'oserais y toucher, tant la prise de conscience de leur magister incontournable dans les processus alchimiques me tétanisera de vénération.

Effectivement, je ne peux que tirer ma révérence, que dis-je, me prosterner devant la farouche dévotion des fourmis pour le Grand Vide.

Peut-être que le vent traversant ma chapelle criblée soufflera un petit air de flûte mystique avant l'hécatombe ?...

chapelle micocoulier yurtao 2014

Maintenant, en passant devant, je détourne la tête, je ne veux pas voir mon sanctuaire se dissoudre inexorablement de l'intérieur, se creuser, se vider.

Je ne veux pas voir la sciure pleuvoir du Vide, noyer sous un voile de farine insipide ma pyramide de galets,

galets de la chapelle yurtao

mes fossiles, ma mousse et mes coquillages.

Ça me suffit de savoir que ce sont les fourmis que j'ai dérangé qui accomplissent le culte.

Mais au fond de moi, déjà, un pétillement de joie se lève

en supputant la prochaine église que je vais reconstruire sur ce Vide,

et comment j'offrirais à la nature une nouvelle célébration

à la gloire de l'Intangible.

 

 

 

Une histoire de tentes : La BD (bande dessinée) de la Tribu Vivace

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Ça bouillonne sous les tentes !

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Ça chante en festivalant,

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 ça danse en bossant,

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ça yourte,

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ça cabanise,

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ça coud,

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ça pédale, 

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ça nomadise,

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ça herborise

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ça résiste

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aux empécheurs de camper en rond,

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et ça dessine bien joliment.

Même que ça devient une bande dessinée,

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où l'on peut voir des yourtes,

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des inventions légères pour habiter autrement,

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des tipis, des radeaux, des cabanes en toile,

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des feux de bois,

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de belles personnes pleines de joie,

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et des histoires d'amour.

C'est Gilbert, l'homme qui marche avec sa jument,

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qui l'a dessiné.

Il a planchéà la Tribu Vivace tout l'hiver

pour terminer un travail débuté il y a deux ans,

et n'a pas lâché son crayon et ses couleurs malgré les imprévus.

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Alain, qui a conçu le scénario,

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l'a déposé chez un imprimeur et bientôt,

on va s'arracher cet album.

 En avant-première, les illustrations de ce message

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sont extraites de cette bande dessinée

que les amateurs pourront se procurer bientôt, 

il faut se renseigner là :

Gilbert Crescente: 06.48.58.87.9O.

Alain de la tribu Vivace: 06.19.42.18.69.

 

 

Art de la pauvreté

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soleil toilé yurtao

De temps en temps, c'est rangement.

papillon épinglé yurtao

Le ménage à la maison et en soi, soin sanitaire primordial, il semble que la société consumériste, engloutie dans une trépidation insatiable d'activités nocives, débordée par l'accumulation d'objets et de produits pathogènes, n'en soit plus capable.

Les règles les mieux suivies sont celles de la duplicité et de la vénalité, tandis que la compétition généralisée détourne et corrompt toute éthique de vie.

La terre ressemble à un logis mal tenu, nauséabond, envahi de poubelles que le locataire n'arrive plus à cacher, affalé sur un canapé mou à mater des écrans brouillés, jetant sous lui les emballages déchirés des saletés dont il s'empiffre.

sacs plastiques

Ici, au camp de yourtes, frugalité et lenteur ordonnent une économie circulaire lubrifiée par les tâches domestiques, à l'image d'un écosystème qui traite ses pourritures et ses tares sans délais. Non que règne le désordre,

portant yurtao

puisque l'habitat rond vernaculaire impose la conscience que toute pagaille matérielle traduit ou entraîne un charivari cosmique.

Juste traînent des travaux en cours, des traces d'activités en pause,

des empilements à modifier, quelques couleurs à plier,

hamac aux vétements yurtao

entre lesquelles bivouaque le quotidien.

essai fleurs couture

Ranger sa yourte n'a rien à voir avec le grand ménage d'un appartement, meubles en pyramide, aspirateur, détergents, serpillière et stress.

pompoms ouzbeks yurtao

Camper en légèreté et en autogestion, détaché des réseaux,

rapproche des éléments, de l'essentiel et de soi-même.

Vivre beaucoup dehors dénude l'intérieur,

les arbres frémissantsbizarre-tree-

étant plus considérés que les meubles statiques.

Quand la vie s'harmonise avec la nature, la synchronisation des rythmes

et l'homéostasie couplée sur les saisons purifie l'âme

en la vidant du superflu.

Le besoin d'objets s'estompe,

se dilue dans l'agrandissement des frontières de l'être.

arbre d'amour

De même que le travail ménager devient

accomplissement de la voie ordinaire,

l'ameublement et l'équipement se soustraient aux diktats technico-commerciaux au profit de la sacralisation de gestes simples et éternels.

Contestant à la quête de l'eau ou du bois, le statut avilissant de corvée, on se désaliène des chèques en blanc signés sous pression, sous prétexte de confort, aux multinationales qui confisquent notre autonomie. Ces gestes deviennent des rituels s’emboîtant harmonieusement dans les limites d'une liberté acquise grâce à la sobriété. L'usuel accompli de façon quasi cérémonielle fait échapper aux hachures autoritaires du temps. Quand la vie n'est plus coupée en tranches, alors on retrouve cette fluidité si précieuse au sens et à la santé.

sourcette

La yourte brise enfin ce méchant statut de « ménagère » inepte aux indiens, sorte de harpie maugréante et tentaculaire de la modernité dévorée de besoins factices, maquillée en fluette et lisse sirène fanatique du productivisme marchand.

En tente, les ustensiles se raréfient et les vaisselles passent souvent à la trappe au profit d'un thé remué au doigt dans le bol ayant accueilli le repas.

Quand il pleut, l'eau du ciel s'occupe de nettoyer ce qui est exposé sur un lit de fougères.

Le frigo n'est jamais à dégivrer quand un peu de sable mouillé entre deux pots suffit à rafraîchir les légumes, le gaz n'est plus à surveiller quand la cocotte placée bouillante sous la couette fait office de marmite norvégienne.

La table n'est plus à débarrasser quand on grignote sa galette cuite au feu de bois sur les genoux ou sur une natte, aucun aspirateur n'entame la terre battue du tipi ni ne révulse les oreilles, tous les objets obsolescents à brancher au nucléaire ont été remplacés par leurs ancêtres manuels de mécanique robuste,

les balais et les brosses par des bouquets de fougères ou de bruyères,

la centrifugeuse par le moulin, la perceuse par la chignole,

les séchoirs par le soleil.

jupe séchant

Un jour de rangement ici,

ce sont des épluchures d'une belle branche de châtaigner

épluchure d'écorce de chataigner yurtao

à ramasser, puis à suspendre,

écorces suspendues yurtao

une planche sur le seuil à remplacer, un outil à réparer,

une couette à finir de broder,

la couette à sylvain

des aiguilles et des bobines à réintégrer dans la boite à couture,

les bougeoirs àévider, uns sculpture à redresser,

bois paufinés croisés yurtao

des animaux sortis du bois à apprivoiser,

lapinus yurtao

à rapprocher de la sphère privée,

animal de bois yurtao

et toujours des drapeaux à recoudre ou détortiller.

drapeaux cantoyourte yurtao

Bouilloires et poêles à récurer, litières végétales à renouveler, boites à provisions à renforcer contre les rongeurs, bois de différents calibres à fagoter, courroies à resserrer,

noeud de couronne yurtao

adventices envahissantes à désherber, cairns à remonter,

épluchures à valoriser,

iris orange

toilettes à composter, mandala à redessiner au sol,

cailloux à trier pour les mosaïques champêtres,

fleur de roche yurtao

tout devient danse, et, quand je commence à avoir le tournis,

c'est là que ça commence.

Les étincelles qui annoncent l'absorption.

Un état quasi céleste qui arrive en méditation ou en création.

Au lieu de jeter, d'abord, j'entrepose.

Pas question de sous-traiter le recyclage des déchets.

Le destin d'un objet déchu relève d'une alchimie passionnante qui n'a rien à voir avec le fourbi des garages bondés des débordements consuméristes. J'entrepose sous un coin de tente jusqu'au moment où, regardant le rebut à l'envers avec une disposition d'esprit vierge, je lui découvre un nouveau visage. Ce retournement fait germer la possibilité d'une fonction inédite.

Voilà pourquoi un rangement se termine immanquablement par une œuvre d'art brut,

oiseau biscornu yurtao

et que du coup, ce qui aurait pu durer une heure en prend quatre

et qu'une matinée peut se prolonger sur trois jours.

A la fin, les pommes de pin sont rangées,

suspension pommes de pins yurtao

et un mandala,

petit mandala aux feuilles d'érable yurtao

ou un épouvantail, ou une suspension,

 étoile sur la vallée yurtao

ou un nouveau nid, ou une bordure protégeant un jeune arbre,

chène protégé yurtao

ou une cabane, ou un arbre-statue, est né...

Oh ! Rien de formidable ni de spectaculaire, juste une réhabilitation spontanée de matières viles, invisibles à l'état isolé. Non qu'il faille extraire absolument une œuvre du réajustement de l'environnement, mais ça surgit tout seul en cherchant où placer des trucs périmés qui ne servent plus à rien.

Par exemple, j'ai rangé les veilles pelles cassées et rouillées trouvées aux alentours sur un squelette de pin planté dans un souchard stabilisé, et l'espèce de sentinelle qui s'en est dégagé

l'appel de la forêt

a redonné vie d'un coup à une restanque un peu abandonnée.

De même, en triant les vieux bouts de ferraille déformés

au pied de la dame de fer yurtao

que je renâcle à descendre au container, s'est présentée une tige de fer

que j'ai planté en terre pour les y enfiler.

demoiselle ferrée

Afin que l'amas dévarié tienne debout, un équilibre doit être trouvé en répartissant les poids, ce qui entraîne une concentration proche de la composition d'une sculpture.

la dame de fer

Donc, le nœud de la créativité domestique, c'est l'attention et le tri.

Récolter et rassembler ce qui d'ordinaire ne provoque que mépris et rejet.

D'un coup d'œil, déshabiller la bouteille ou l'emballage qui passe encore entre les mains, discriminer les consistances et les tailles, étiquettes, bouchons, verres, plastiques, textures, envisager le détournement, dépiauter les éléments, leur attribuer une boite.

Promettre à chaque broutille une élection nouvelle, comme le potiron qui devient carrosse.

sur le bord du chemin yurtao

Outre que c'est très écologique de s'occuper de tout ce qui nous échoie, on peut se constituer gratis une bonne palette de couleurs et de textures sans dépendre du moindre fournisseur toxique.

C'est ainsi que j'en suis arrivée à récupérer des petites choses parfaitement insignifiantes, genre capuchons, capsules, noyaux, pépins, coques, allumettes, boutons, lacets, écorces, carcasses, os, brindilles, cailloux, épluchures séchées, coquilles d'œufs, coquilles d'escargot, coquillages, en passant par toutes sortes de pétales séchés, de graines, de bouts de cuir, de laine, de carton, de fil de fer et autres croûtes pour ma pitance imaginative. Nul ne sait où cette récolte hétéroclite peut mener. C'est une surprise permanente.

Il existe ainsi une brave dame de 78 ans qui a construit sa maison avec des bouchons en plastique.
Et une autre aussi, de l'autre coté du globe, en taiga sibérienne.

Voilà exactement le génie des pauvres.

On peut avec trois fois rien construire son abri, comme elles les bouchons ou moi les bouts de tissus, et se sortir des pires situations avec l'humble virtuosité d'un artiste naïf.

Ou simplement, un jour de ménage, au lieu de râler parce qu'on reste à la maison pendant que le chéri au bistrot mate le foot en hurlant, on peut transformer

la cacophonie du dehors en silence intérieur,

l'absence de l'autre en présence à soi,

on peut faire du beau avec du laid,

de tout avec rien, du cosmique à partir du minuscule,

du génial avec du minable, et au lieu de la tarte-tatin fumante,

l'invité, le passager ou le compagnon trouvera sur la table

un gâteau de l'âme

gateau de l'ame yurtao

qui n'a d'autre utilité que de rendre la vie

un peu moins aliénée, simple, sage et délicieuse.

Et tant pis si l'enthousiasme créatif n'est pas partagé,

du moment qu'au lieu d'une ménagère ronchonne jamais contente plombant l'atmosphère, le foyer rayonne d'une fée pas figée qui fait la nique au banquier et chante sur un air improvisé le bonheur du temps réapproprié.

 

Michael Kohlhaas* avait deux bons chevaux, moi j'avais deux bons yeux.

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Lettre à mon ophtalmo.

Madame,

En Janvier 2014, j'ai pris RV à votre secrétariat pour une consultation d'ajustement de lunettes de lecture. Un RV m'a été accordé pour six mois plus tard, le 8 Juillet.

Au printemps, au cours de travaux extérieurs, ayant reçu une branche dans un œil, j'ai téléphoné pour demander l'avance de ce RV. Un refus m'a été opposé. J'ai donc patiemment attendu Juillet pour faire vérifier et éventuellement soigner mon traumatisme oculaire.

Le 8 Juillet, la secrétaire m'annonce que mon RV est noté pour le 9 Juillet et qu'elle ne peut pas me recevoir. Je lui explique que je viens de loin à pied et en car et qu'il m'est impossible de revenir le lendemain. Quand je lui demande de bien vouloir essayer me faire passer quand même, la secrétaire m'ordonne de ne pas insister, sans envisager que c'est peut-être elle qui s'est trompée. Devant mon désarroi, elle ajoute que je n'ai qu'à revenir en fin de matinée mais qu'elle ne peut rien m'assurer. Ne pouvant me permettre de louper mon car de retour à 11H, j'essaye d'attirer son attention sur ma situation d'éloignement. Peine perdue, ma demande angoissée est mal perçue, la secrétaire me rembarre. Désespérée, je dois repartir sans avoir pu consulter.

Je cherche alors une autre possibilité de consultation sur Alès qui ne prenne pas six mois de plus et obtiens RV chez le Docteur Raimbaud. Funeste détour, puisque, ce 8 Août, lors d'une consultation expéditive, je suis contaminée pendant l'examen par un virus qui pénètre dans mon œil gauche fragilisé par le micro-traumatisme datant de plusieurs mois. En une semaine, ma santé dégénère en conjonctivite virale aiguë aux deux yeux. Envoyée aux urgences ophtalmiques du CHU Nîmois par mon généraliste, je ne peux m'y rendre car je ne suis pas motorisée et que ma souffrance aiguë rend in-envisageable un fastidieux voyage en transports publics.

Le 19 Août, je retourne donc chez le docteur Raimbault, le seul à pouvoir localement me recevoir rapidement en période estivale. Les symptômes inflammatoires de la conjonctivite sont alors soignés massivement par un collyre à la cortisone qui entraîne immédiatement l'accélération de la réplication du virus et déclenche un ulcère de cornée, la kératite attaquant les deux yeux. En quelques jours de grandes douleurs, ma vue se dégrade et je perds la capacité de supporter la lumière, ne pouvant plus sortir sans lunettes noires. Je ne peux plus lire, plus coudre, mon travail de de rédactrice et écrivain est compromis, je ne déchiffre plus les étiquettes, les prix ni les notices, tout devient flou. Ma vie quotidienne qui implique forme physique et vigilance puisque j'habite sur une colline dans une yourte auto-construite, sans eau, sans électricité et sans accès routier, est bouleversée. L'effondrement brutal de mon acuité visuelle de 10/10 à 3/10, c'est à dire la perte de sept dixième, n'est accompagnée d'aucun diagnostique et encore moins de pronostique. Le docteur Raimbault ne me parle jamais de contagion et répond avec irritation à mes questions par oui ou non.

Au bout de quinze jours de traitement agressif, je ne supporte plus tous les collyres antibiotiques et anti-inflammatoires. Je reprends alors RV avec vous. Le 1° Septembre, vous me confirmez que les antibiotiques n'agissent pas sur le virus et me prescrivez des gouttes froides pour soulager la douleur. Cependant, je ne reçois toujours pas de diagnostique ni de pronostique. Je dois me renseigner sur internet en multipliant l'affichage sur écran au maximum et effectuer des recherches dans le brouillard et la douleur. C'est ainsi que je trouve la description exacte de ma maladie, avec sa chronologie standard qui correspond parfaitement aux dates d'apparition de mes symptômes, une kérato-conjonctivite à Adenovirus. Cette maladie est réputée, d'après nombres de sites médicaux, en particulier dans les enseignements infirmiers sur la prévention des maladies nosocomiales, se transmettre par contacts, majoritairement en cabinets médicaux. Je comprends enfin que j'ai été contaminée au lieu même censé me soigner, puisque dans les quelques jours autour de l'origine de l'incubation, je n'ai rencontré personne de malade, ni personne du tout d'ailleurs, puisque je me trouvais en retraite solitaire.

Je découvre aussi que la prescription de cortisone au moment de la multiplication du parasite et de la réponse immunitaire est une erreur médicale qui provoque l'activation des nodules défensifs dans la cornée et donc de graves séquelles. Mon terrain sensible n'a jamais été pris en considération. J'accuse alors le docteur Raimbault sur son manque de prophylaxie. Celui-ci, bien entendu, n'accepte pas mes arguments, nie toute responsabilité, me déclare handicapée sans pouvoir me donner aucun délai de guérison et me prescrit à nouveau de la cortisone ! Traumatisée par l'avalanche de déboires en chaîne et une perte de confiance cuisante en la médecine, je m'avère incapable de prendre cette médication.

Comme vous m'aviez dit de revenir vous voir au bout de quinze jours sans amélioration, j'obtiens un RV pour le 23 Septembre. Mais ce jour là, quand à 10H la secrétaire m'annonce qu'il y aura encore une bonne heure et demie d'attente, je lui explique à nouveau que je ne peux pas louper mon car de onze heures et qu'il me faudrait un RV plus matinal. Sur ce, vous arrivez derrière moi et me jetez qu'ici les patients attendent six mois leur RV et que je n'ai pas à bénéficier de privilèges. Cette remarque particulièrement cruelle et injuste m'a beaucoup choqué. Je suis une nouvelle fois repartie bredouille avec une sensation blessante de malentendu, de mépris et même, de maltraitance.

J'ai alors suivi le conseil de mon généraliste et pris un RV avec un ophtalmologiste à l'hôpital de Nîmes. Le 6 Octobre, j'ai heureusement trouvé une conductrice pour m'accompagner au RV car, malgré ma demi-cécité, je n'ai pas droit à une ambulance. Le docteur Nîmois confirme la kérato-conjonctivite à Adenovirus, constate la conjonctivite chronique auto-immune, la photophobie violente et les nombreuses cicatrices cornéennes sous épithéliales responsables du handicap visuel. Il me prescrit de la cortisone sur six mois en me promettant une amélioration rapide si je m'y tiens sans interruption, sans s'inquiéter de mes antécédents et de mes réticences, requérant de ma part un acte de foi aveugle alors que j'ai besoin d'informations et de clarifications, indispensables pour collaborer à une thérapeutique chimique que j'accuse de l'aggravation de mon état. Je lui signale que je ne pourrais pas revenir à Nîmes à cause des conditions très éprouvantes de transport, à pied, car départemental, train et bus urbain, l'hôpital se trouvant éloigné de la gare. Je ne fais pas allusion à mon électrosensibilité qui provoque un stress intense pendant les douze heures de voyage de mon domicile à la métropole départementale, car en France fort peu de médecins reconnaissent cette pathologie. Or tous les espaces publics sont envahis par une prolifération incontrôlée de nuisances éléctro-magnétiques auxquelles il est quasi impossible d'échapper autrement que par un repli stratégique de survie. Les pollutions chimiques et environnementales qui m'ont déjà provoqué un cancer ont ainsi un rôle déterminant dans mon choix de vivre à l'écart dans la nature, en grande simplicité.

Le docteur du CHU de Nîmes m'a donc conseillé de vous revoir pour un suivi. Entendant que je n'arrive pas à obtenir de RV qui convienne à ma situation, il vous a rédigé une lettre.

Je me trouve incapable de suivre sa prescription de cortisone. Actuellement, j'applique sur mes yeux des cataplasmes d'argile**, l'argile étant exempte de la longue liste des risques d'effets secondaires néfastes de la cortisone, qui vont de la cataracte à la perforation du globe oculaire, en passant par le glaucome, les allergies et la prolifération fongique. La réaction de défiance des victimes de maladies contractées en milieu médical devrait logiquement être prise en considération avant de rédiger une ordonnance aussi dangereuse. La thérapeutique naturelle à l'argile**, bien plus contraignante qu'un collyre, me permet de contenir l'inflammation, mais pour l'instant, ma vision est toujours très dégradée, ma photophobie handicapante, cependant la douleur est en voie de modération.

Je déplore l'injustice sociale qui discrimine les habitants ruraux éloignés des centres urbains ainsi que les personnes privées de véhicules ou dans l'impossibilité de conduire, car dans ces cas là, particulièrement si les ressources financières ne permettent pas les frais de taxi, l'accès à des soins médicaux est un parcours du combattant, qui se solde souvent par du renoncement.

Dans mon cas, cette difficulté d'accès aux soins non prise en compte s'est soldée tragiquement par un accident médical, une maladie iatrogène et un handicap durable, sans que je puisse obtenir de la part des trois médecins consultés la moindre explication sur ma maladie.

C'est pourquoi je me permets de vous demander ce que vous pensez des responsabilités de chacun dans ce parcours médical d'une grande violence qui m'a invalidé sans m'assurer de guérison, ni même de correction, les taies qui provoquent un voile oculaire ne pouvant être corrigées par des lunettes tant les nodules sont irréguliers et dispersés. Je n'ai pas non plus la moindre lueur d'espoir d'obtenir réparation du préjudice subi.

Je voudrais savoir s'il est de votre ressort et de votre bon vouloir de m'apporter assistance selon les principes hippocratiques d'absence de nuisances, et de me rassurer sur les mesures sanitaires de précaution prises à votre cabinet pour éviter la contagion des virus et autres infections ophtalmiques. Auquel cas, seriez-vous disposée à me témoigner de la compréhension en me recevant en consultation assez tôt le matin pour que je puisse repartir par le car de 11H ?

Dans l'attente de votre réponse, je vous prie d'agréer, Madame, l'expression de mes sentiments distingués.

Sylvie Barbe.

 

* Écouter sur France-Culture la pièce adaptée du roman Michael Kohlhaas (1810) de Heinrich von Kleist  d’après la traduction de Louis Koch publiée chez Mille et une nuits

http://www.franceculture.fr/emission-fictions-theatre-et-cie-michael-kohlhaas-2014-09-21

*Présentation du film, tourné en partie dans les Cévennes à coté de chez moi, au château d'Aujac, château-fort des XIIe-XVIIe siècle.. http://fr.wikipedia.org/wiki/Michael_Kohlhaas_%28film,_2013%29

 

** Thèse de doctorat en médecine de Jade Allègre, 2012.

LES SILICATES D’ALUMINE (ARGILES) EN THERAPEUTIQUE

http://lhomme.et.largile.free.fr/actualites/These_Jade_Allegre.pdf

 

Yourte sur les flots

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yourte sur les flots yurtao

Si un peu plus vivait comme moi, le GIEC n'aurait pas besoin de crier.

 

Rechauffement-Mers-141103

 

Mais je n'en connais pas beaucoup capables de passer des nuits de tempête assis stoïquement sur un zafu sous une simple tente même pas tendue de piquets, à endurer la folie des temps, la folie des hommes.

Ici, pas besoin de salles de sports, pas besoin de treks ni de thrillers pour se procurer des émotions, pour toucher ses limites, pour se dépasser.

Cinq épisodes Cévenols en un mois, du pur délire ! Et ça recommence. Ça n’arrête pas d'accrocher les wagons au train de l'enfer.

Des trombes d'eau, un grondement continu, des éclairs sans arrêts. L'orage coincé dans la vallée, qui tourne comme un fou en cellule d'isolement, comme un lion en cage. Pas une demi-journée, pas une nuit, mais plusieurs jours et plusieurs nuits d'affilée.

Des semaines cataclysmiques qui se succèdent, où se réveille le lien ancestral avec les milliers de générations qui se sont construites sur la confrontation aux éléments naturels.

Au fond, je crois que c'est ce que je voulais, ne pas oublier.

La pluie drue, violente, martelant le toit de la yourte,  gîtant comme un bateau secoué sans pitié par des flots déchaînés.

Les éclairs fouillant la yourte sans discontinuer, comme un mirador traquant un évadé.

yourte sous éclairs yurtao

Et cette toute petite chose que j'ai fabriqué de mes mains avec les moyens du bord, qui encaisse la houle, qui tient sous la tornade. Sans que ça soit jamais acquis.

Toutes voiles baissées, figée sous le toono comme le marin sur sa barre, il n'y a plus rien à faire.

Petite bulle ballottée dans la tempête, je m'attends à toute minute à une déchirure de toile, le chapeau arraché, un arbre chutant, la foudre s'abattant. Je regrette les travaux repoussés et liste dans ma tête ce qu'il faudra impérativement coudre après. Si j'avais un double toit avec un espace entre deux, ça amortirait ; une double tranchée, ça dévierait les cascades. Et puis, je ne pense plus, à cause du bruit.

Le cerveau pressurisé se répète que ça ne peut pas durer, que ça va s'arrêter, ça finit toujours par finir, on n'a jamais vu des orages rester, s'installer, ça n'existe pas, ce n'est pas possible.

Mais si, ça continue, tonnerre en boucle, courts circuits en chaîne, explosions en série. Les vieux disent qu'ils n'ont jamais vu ça, je le dis aussi, depuis le temps que je vis dehors, je n'ai jamais vu autant de démesure, comme si la météo piquait sa bouffée délirante. Ce déchaînement monstrueux qui déborde de tout cadre, de tout concept, de toute expérience, pousse à bout les résistances physiques et psychiques. Il n'y a plus d'espaces entre les coups, l'orage ne fait que hurler, c'est la guerre du ciel contre la terre, c'est insoutenable.

Pour la première fois de ma vie, je n'aime plus l'orage. L'étau des hallebardes s'obstinant à percer la toile, l'eau sous pression giclant d'un karsher diabolique, toute cette mitraille tirée à bout portant sur mon esquif titubant ont raison de mes forces.

yourte sous les flots yurtao

Je déteste cet interminable et monstrueux orage et je le fuis.

Je ne fuis pas parce que la yourte est inondée ou que j'ai peur, mais parce que le vacarme est insupportable. Il casse la tête au sens propre du terme. Je finis par halluciner, par croire que l'heure du déluge est arrivée, que c'est la fin du monde. Je craque, je me réfugie dans du dur. Je me cache derrière des briques, ça ne m'empêche pas d'entendre, mais je ne suis plus prisonnière du dément.

Heures de répit et puis, j'y retourne.

On ne peut pas s'empêcher de retourner chez soi quand chez soi a pris la dimension du ciel. Même si ce ciel cruel hurle une colère démoniaque, interminable.

Dos droit, respiration maîtrisée, en posture de méditation, comme Ulysse pendu à son mat, j'entends tomber les branches arrachées, les bourrasques s'acharnant à claquer les toiles, mes cloches chahutées dansant la gigue, et lentement, je me rappelle une nouvelle fois qu'Ithaque est au centre de moi-même et que l'Odyssée la plus aventureuse peut se vivre sans bouger.

ithaque yourte

Au marché, tout le monde ne parle que de ça. Enfin, surtout les jardiniers, les paysans, et tous ceux qui déballent dans des conditions pénibles.

J'y mets mon grain de sel, je crie au dérèglement climatique et là, voilàti pas qu'un brave me lance :

«  Quand même, faut pas exagérer, c'est pas pire que les autres années !»

J'argumente le contraire et le brave, tout renfrogné, se bute.

« Non, c'est comme ça tous les automnes, c'est tout à fait normal, faut pas en faire un plat ! »

Interloquée, je pense au vieil oncle de mon oncle qui a du évacuer son mas séculaire inondé, je pense aux campeuses écrasées sous un arbre, me demandant si ce brave joue la provocation quand toute la région sans dessus dessous est aux abois. Alors je proteste que ça fait vingt ans que je vis dehors en yourte et qu'avant, au bout de trois jours, au pire cinq, ça s'arrêtait, le soleil et la chaleur de Septembre ou Octobre revenaient et tout séchait rapidement.

yourte séchante yurtao

Mais cette année, ça ne sèche pas, ça dure trop.

Ma résistance semble énerver le brave climato-septique qui se remet à grommeler que tout ça, c'est des conneries.

Et tout à coup, je comprends. J'ai affaire à un de ces motorisés informatisés qui ne savent plus marcher, cloués devant leurs écrans à zapper sur les catastrophes du globe, mais qui ne possèdent même pas de ciré ni de bottes en caoutchouc pour aller vérifier le niveau de la rivière ou aider un voisin àécoper. Je rétorque illico, un peu énervée par cette arrogance :

« C'est sûr, l'orage devant l'ordi et la télé, c'est pépère, on ne l'entend pas, derrière les volets, on ne le voit pas, et la pluie, dans les murs, ça ne mouille pas... »

Silence vexé, coup d'œil furibard et embourbement définitif de ma réputation de chieuse.

Certes, je suis nulle en jeux vidéos aux scénarios dantesques qui déboulent toujours ailleurs, mais moi, quand il pleut, je connais l'heure exacte de la première et la dernière goutte.

petite pluie arrivant sur la yourte yurtao

J'entends la pluie arriver de l'autre bout de la vallée et je sais exactement combien de temps il me reste pour m'abriter.

Les différents niveaux des creux naturels et des récipients laissés dehors m'indiquent sans mesure la force des précipitations. Si je ne vide pas mes bassines, les moustiques attaqueront sans vergogne. Je surveille mes cuves que l'eau remplit par des petits trous ménagés dans les couvercles retournés, celles pour donner à boire aux plantes et celles pour ma boisson. Je bénis cette manne et remercie pour tous ces litres gratuits car ils sont mon autonomie et ma liberté. Je passe beaucoup de temps à imaginer des systèmes de bâches repliables pour décupler ma récupération de pluie. Je sais à l'intuition la taille de tissu et le genre de mauvais temps qu'il faut pour remplir rapidement une réserve. Je sais pourquoi il faut se procurer des bottes en caoutchouc naturel et pas en synthétique, matière chimique tout juste bonne à traverser une flaque mais incapable de résister à un mois diluvien de grimpettes boueuses.

Au fil des saisons, j'ai récupéré des imperméables de plus en plus couvrants. Aujourd'hui, je suis équipée comme un matelot et sors par tous les temps. J'aime les bruits de moteurs noyés dans celui de la pluie et marcher seule au milieu des rues désertes. J'adore patauger dans les ruisseaux et observer les méandres de l'eau, les geysers giclant des rochers, voir comment l'humus absorbe, et où les piétinements ouvrent une cascade. Je surveille mes restanques et s'il le faut, dés que possible, je soulève quelques pierres et relève une terrasse.

Partout dans les Cévennes pendant des siècles, la gestion des écoulements était au cœur des stratégies de subsistance. Il ne reste quasiment plus rien de ce grand savoir et les Cévennes désertées de ses autochtones, ses vallées de plus en plus bétonnées, ne font plus face aux pluies torrentielles. D'anciens villages soigneusement situés connaissent leurs premières inondations parce qu'autour, rien n'a été respecté et que les évacuations ont été cimentées. Le goudronnage, la vénalité et la bêtise enkystées, malgré des milliers d'experts en colloques au quatre coins de l'hexagonne, s'allient au réchauffement climatique pour provoquer des drames. Dont les victimes, comme toujours, sont les pauvres.

Car, pendant que, sur de luxueux paquebots, les riches discourent doctement sur l'état du monde en se régalant de festins au-dessus du cimetière marin Méditerranéen où sombrent des centaines de misérables naufragés, pendant que les nantis se prélassent de plus en plus tard en saison dans un océan de plus en plus moite, des nuages de chaleur exhalés de leurs croisières et des vapeurs de leurs bains montent vers les Cévennes cogner des masses d'air froid et exploser en déluge sur les damnés des collines.

Là, accrochés aux pentes, les réfugiés économiques, environnementaux et existentiels qui osent remettre le gouvernement central et la civilisation du progrès en question, slaloment entre les seaux sous les gouttières de leurs cabanes, pendant que leurs maigres réserves alimentaires se piquettent de champignons et de moisissures.

Pourtant, elle tient, ma yourte.

Au milieu de mes arbres reconstitués.

arbre aux étiles sous la pluie yurtao

Elle flotte sur les eaux.

Pas d'infiltrations, pas de voies d'eau. Elle n'est pas inondée. La serpillière et les tapis sont indemnes.

Pas inondée, mais imbibée.

IMBIBEE. Comme une éponge.

Malgré les trois couches de store et les trois couches de laine.

Je suis certaine que si ça dure encore un peu plus, l'humidité suintera et tout commencera à pourrir, lentement mais surement.

En attendant, le galopage dans ma tête porte ses fruits. Je sais comment je vais palier à tout ça, parce que je ne peux pas compter sur une amélioration climatique, au contraire. Donc, il faut s'adapter.

J'ai trouvé le truc.

Je vais me procurer des billes de liège à fourrer dans des boudins de toile étanche et respirante que je vais enrouler autour du toit de la yourte. Certes ça va faire des kilomètres de boudins à coudre, mais quel confort thermique et phonique !

Par dessus, je poserais une autre toile créant un petit vide d'air. Donc, déjà, j'ai demandéà des restaurateurs locaux de me garder leurs bouchons de liège. Ça risque de prendre du temps vu l'impérialisme du cubilot, voilà pourquoi je lorgne sur les gros sacs de billes d'écorces vendues en magasins de bricolage.

Cependant, si mes chers lecteurs s'avisent de me garder leurs bouchons, ça serait une occasion sympathique de leur offrir un petit tchaï au sec... Si d'ici là, je n'ai pas fait naufrage...

 

Fabriquer du soleil

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Après tant de pluie, après le déluge, enfin un rayon de soleil !

Un moment sans cesse repoussé arrive. Le moment où ce qui s'est couvé dans les tremblements du nid peut éclore.

Repliée dans ma petite yourte pendant des semaines de tourmentes, chaque jour à rester longtemps dedans, la couronne obstruée par un ciel plombé et l'univers sonore martelé jusqu'à saturation, j'ai fabriqué des soleilades.

soleilade jaune yurtao

Mes mains ont courbé, taillé et lié au fil de coton des rejets de châtaigner bien ressuyés, qui ont donné des anneaux de différentes tailles.

anneaux de chataigner yurtao

Ensuite, j'ai enroulé de la laine autour pour obtenir de beaux cercles de couleurs. Puis j'ai tissé et entrecroisé des multitudes de diamètres de laine pour remplir l'intérieur d'un canevas en étoile.

soleilade bleue yurtao

Assise sur mon zafu, genoux calés dans le moelleux de la carpette en tissu vietnamien que j'ai molletonné sur une couverture, avec d'un coté mes paniers de pelotes multicolores et de l'autre ma boite à couture, ne pouvant plus tricoter dehors,

pelotes de laine yurtao

j'ai creusé une enclave au déluge en improvisant,

sur deux mètres carrés entre le lit et la théière,

un petit atelier d'artisanat.

petite place de la laine yurtao

Radeau arriméà quelques pierres délavées, frêle esquif au milieu des torrents d'eau martelant les toiles, glas affolé de vibrations ricochant en boucle dans la cloche de tissu, ce petit rectangle de yourte giflé de bourrasques est pourtant devenu, à la moindre suspension d'orage, l'atelier du bonheur, où le joyau du silence et du travail manuel m'ancraient au grand mât de l'esprit.

miniatelier du bonheur yurtao

Pensées et émotions se dévidant au long des brins de laine entortillés sur les baguettes, j'ai fabriqué au fil des heures dans la pénombre, à l'intuition, en me fiant surtout au toucher, des pupilles organiques en fibres végétales, petits yeux cosmiques accrochant la moindre lueur, à offrir, quand cessera l'ouragan, à la danse du vent et de la lumière.

J'ai suspendu mes soleilades sur un petit sèche linge accroché aux perches du toit, sans les compter,

jolies soleilades dans yourte yurtao

mais comme la pluie continuait, elles se sont vite multipliées, tournicotant et se chevauchant, petites et grandes mélangées, merveilleux festival de couleur !

jolis soleilades dans la yourte

Alors que persistait le gris dehors, plombé, que les yourtes ruisselaient sans arrêt, trempées, mes soleils bien sages sous la petite tente criblée attendaient patiemment que les nuages et l'orage veuillent bien se calmer et s'en aller.

Entre deux tempêtes, j'ai pu quand même gratter et polir de longues branches mortes de châtaignier que j'avais préparé, pour obtenir ce beau jaune doré du bois décapé qui lui redonne toute sa noblesse. J'ai creusé facilement un trou dans la terre détrempée, entonnoir de glaise molle qui m'a servi de vase, et j'y ai composé un bouquet de branches prêt à recevoir mes soleils.

perches de chataigner en bouquet yurtao

Ce n'est pas seulement le mauvais temps qu'il a fallu traverser. C'est aussi la douleur, l'angoisse de mes yeux blessés et le charivari du quotidien quand rien ne va comme on veut.

Le soleil disparu, englouti, j'ai intériorisé sa puissance

jolie soleilades blanche yurtao

comme Perséphone dans le tunnel des enfers couvant sa grenade, comme la petite sœur des princes ensorcelés changés en cygnes s'acharnant humblement à tisser des capes d'ortie pour délivrer ses frères du mauvais sort, comme la petite sirène sacrifiant sa nageoire pour sortir de l'eau et marcher vers son prince.

J'ai découvert alors des territoires vierges et passionnants, parce que quand on ne peut plus passer par un chemin habituel, la nécessité d'en emprunter un autre ouvre l'inconnu. L'exploration d'une autre façon d'appréhender le monde, hors de l'impérialisme des images, le déploiement d'infimes perceptions et l'affinement des sens, ont ouvert à nouveau en grand les portes de la grande Vision.

Chaque soleilade naissait alors comme une prière muette, comme une ode à la beauté cachée, celle qu'on ne voit que de l'intérieur, une beauté habitée du dedans, pour qu'un jour bientôt, au terme de maintes grossesses alchimiques, tant de soupirs et d'extases se transforment en lumière éternelle.

Quand au bout de trois jours sans pluie, j'ai commencéà dénouer les bouts de laine de mes soleilades, ce n'était pas l'exaltation ni l'excitation. Je savais que l'étape marquait une victoire parce que j'avais pu accepter le mauvais temps et la perte de voir, et parce qu'après avoir compris le sens de l'épreuve, j'avais décidé de guérir. Il y avait en même temps la légèreté de l'inquiétude tarie et la gravité de toutes ces méditations et ce travail intérieur offerts par la maladie.

Il y avait aussi un brin de nostalgie de me séparer de mon ouvrage, comme la femme qui accouche et qui, bien que percluse du bonheur de découvrir son enfant, doit faire le deuil des sensations utérines, l'émoi d'exposer mes fragiles lumignons aux intempéries, aux lessivages des saisons, aux vents valdinguants qui peut-être les arracheront. C'est pourquoi j'ai pris soin de les placer en contrebas de mon seuil, là où dés l'aube, je ne pourrais louper les premiers rayons chatoyant les couleurs.

Alors, la danse a commencé : exhumer les soleils de la yourte quatre par quatre, les balancer dans la lumière diaphane, choisir un emplacement en les espaçant harmonieusement,

bouquet bas soleilades

les attacher au bois,

accrochage soleilades

sculpter en relief, sur le vert de la forêt, l'allégorie d'une renaissance.

S’asseoir sur le rocher pour prendre le temps de les contempler

et s'adonner au ravissement.

bouquet final de soleilades yurtao

Alors le bouquet s'est transformé en viatique pour traverser les jours de plus en plus courts et l'hiver qui approche.

automen qui vient yurtao

Ainsi un nouvel arbre de Vie est né du fond de ce temps d'épreuve,

un arbre aux fruits étranges qui ressemblent à des yeux,

des yeux nés de ma cécité,

soleilades en bouquet yurtao

ouverts sur la beauté et la force de renouveau de la nature.

Des yeux qui voient d'ailleurs,

d'un continent caché où se trament les métamorphoses

et la poésie qui sauve.

soleilades au soleil yurtao

Car enfin, comme le moindre bout de laine déchu peut être révélé et magnifié par la façon de le disposer et de le regarder, chaque seconde de vie est, en dépit de tout, envers et contre tout, malgré le mauvais temps qui revient,

arc en ciel soleilades yurtao

le germe d'un jaillissement de lumière d'où puissent se déployer

l'arc en ciel des couleurs et la puissance des émotions.


Guérison

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La décision de ne pas prendre le traitement allopathique lourd prescrit par le dernier ophtalmo consulté m'a libéré des sueurs froides suscitées par ses menaces :

" Si vous ne prenez pas la cortisone pendant au moins six mois jusqu'à un an, et si vous arrétez le traitement, vous rechuterez à l'état du début de l'infection, qui est chronique."  C'est à dire un handicap sérieux de malvoyance.

Je n'ai pas pris la cortisone et j'ai guéri.

étoile à la yourte yurtao

Je me souviens de sa façon marabouteuse de me lancer, après l'énoncé de son dictât pharmacologique  : « Faites-moi confiance ! ». Ce docteur exigeait ainsi ma crédulité totale. Il voulait m'aliéner pieds et poings liés au système marchand qui exploite la santé comme une vache à traire en usine industrielle, au dépend des malades et de la sécu, pour l'enrichessement des labos et des fabricants de médicaments. Profitant de ma faiblesse et de mon angoisse, il a tenté de me dépouiller de ma responsabilité, de ma lucidité, de ma conscience et de ma liberté.

Mais j'ai résisté. Je ne serais pas le cobaye perfusé d'une firme de charlatans et de mafieux.

Je n'ai pas vendu mes yeux au diable.

J'ai choisi la voie de la guérison naturelle.

J'ai écouté et mis en action les bons conseils de mes chers lecteurs. Extranase, tisane de frêne, magnésium, eau de mer etc... et j'ai reçu un soin énergétiqueà distance.

Et surtout, j'ai mis en œuvre les pouvoirs de la terre.

Durant deux heures, chaque matin et chaque soir pendant six semaines, j'ai appliqué une couche d'argile sur mes yeux. Dans une solitude morale absolue. J'ai eu beau chercher sur le net, je n'ai trouvé aucun précédent d'une kératite guérie par l'argile. Ce traitement dont l'investissement financier est quasi nul ( j'ai quand même acheté de l'argile verte bien que j'ai près de chez moi de l'argile blanche à foison mais qu'il aurait fallu nettoyer ) est beaucoup plus contraignant qu'un collyre chimique administré trois fois par jour, puisque pendant quatre heures, puis deux vers la fin, je suis restée allongée quotidiennement dans le noir de la glèbe. Mais j'ai endossé la responsabilité de mon état sans la transférer sur un soi-disant expert ou un gourou.

La grande, l'énorme différence, c'est que mes yeux ont commencéà cicatriser et que j'ai retrouvé ma faculté de lecture bien avant les six mois prédits, sans aucun effet secondaire. 

Après la cure d'argile, je suis retournée voir mon ophtalmo d'origine, la dame à qui j'ai écrit la lettre publiée sur Yurtao, qui m'a reçu fort poliment, de même que sa secrétaire…

Le résultat, c'est que mon œil gauche est passé de 2/10 d'acuité visuelle à 6/10 , et l’œil droit, de 4/10 à 10/10 !

Ainsi, faire confiance à l'intuition, au bon sens, aux bonnes personnes et à la terre, a sauvé mes yeux. L’œil gauche, qui a été très atteint, est en cours de rétablissement, lentement mais sûrement. La doctoresse m'a simplement confirmé que la cortisone n'aurait servi à rien… Enfin un petit air de vérité dans un cabinet médical.

Si je publie aujourd'hui cette petite victoire personnelle, dont le résultat physique est concomitant d'une guérison intérieure, c'est que je souhaite vraiment que mon expérience réussie puisse servir à d'autres personnes.

Au plus fort de ma cécité, j'ai laissé mes mains fabriquer, avec des produits de la terre offerts autour de ma tente, le visage de cette vertu merveilleuse

esprit de joie yurtao

qu'est l'instinct de survie qui nous habite tous, qui est aussi et peut-être uniquement ce regard loin en nous qui voit la vérité derrière les formes les plus sombres, et qui murmure dans le silence du cœur. La maladie devient alors un cadeau, et la vie qui s'égarait revient alors dans le juste milieu.

J'ai suspendu le visage de ce sourire lumineux devant ma yourte, sur le vieux chêne où pépie une nuée de mésanges malicieuses.

grand sourire yurtao

Maintenant, ce visage de l’au-delà de la douleur, du tréfonds de soi, il se balance doucement par tous les temps, jouant avec le moindre rayon de soleil qui l'illumine comme un feu de joie, et il me décoche, à chaque réveil ou quand je passe devant lui, de ce rire si sain et ces yeux si limpides, un jet de cette énergie magique qui m'a fait traverser, une fois de plus, les grandes eaux.

 

Entrer dans le silence

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J'ai franchi un cap de liberté. Il a fallu tout ce temps.

femme du vent et de la forêt

Tout ce temps à se chercher, à se fuir, se retrouver, se découvrir, se reconnaître, se jurer fidélité, se trahir, se battre contre les démons d'une déliquescence ontologique.

Tant d'années d'agitation, entre exaltations et macérations, à escamoter la confiante indépendance de son sexe creux pas coupable derrière les parades et propagandes phalliques, à mendier amour et compliment à des matraques, à se mirer dans le regard des sans-âme, dans le reflet des couteaux.

Décennies en montagnes russes, ponctuées d'angoisses, à se méfier, se berner, se tourmenter, compenser et sublimer, des temps morts à s'oublier, se détourner, s’abîmer, s'écarteler entre inconciliables, des temps rageurs à se détester, s'accuser, se mortifier, se rebeller, se cuirasser, et puis, après avoir hurlé aux charniers des innocents, renaître de ses cendres et comprendre que ça ne s'arrêtera jamais jusqu'à ce qu'on y laisse sa peau…

Tout ce temps perdu à se morfondre, se justifier, se verbaliser, se disculper, se blanchir, à refouler intrusions et invasions, à balayer la carpette d'indésirables ou déplier le tapis rouge, à compter les maillons de ses chaines et aiguiser la lime cachée sous le lit, tous ces combats contre ses conditionnements, ces défis contre des moulins à vent, pour des révolutions idéales et des causes incontournables, tout ce bois à enfourner dans l'athanor en croyant obtenir de l'or, et puis, un jour totalement improbable, un petit temps égaré lors d'une échappée, à s'affaler sur l'herbe hors du sentier tracé, à retrouver son souffle et découvrir autour, pas gâchées, une fleur, une coccinelle.

S'offrir alors du temps à grappiller une once de bonheur sur ces coteaux sauvages, loin des loupes et des notes, et enfin, finalement, près de la ligne d'arrivée, sur le bord de la piste où on campe parce qu'on a crevé, un jour sans challenge et sans performance, un jour sans chaud ni froid, ni doux ni dur, loin des miroirs et des micros, une après-midi banale au fond d'un coin perdu, aboutir à un seul instant, un tout petit instant, comme une virgule, comme un soupir sur la partition, un instant hors du temps, un instant de silence.

Suspendu. Creux. Vide.

Et franchir un cap d'éternité. A cause de ce silence. De ce qu'on pressent de ce silence. Une immensité radieuse. Là, on n'entend plus ce qu'il faut, ce qu'il aurait fallu et ce qu'il faudrait, plus de semonces, menaces et objurgations, plus de fils d'actualités ni de débats démocratiques, plus de mythes à embobiner pour exister, plus de productions à fournir au système pour sa rémunération ni à ma mère pour qu'elle m'aime, plus de rôles à jouer, de scènes à dramatiser, de dominants à séduire, dédaigner ou tromper, d'étrangers et d'exclus à plaindre et secourir, plus d'indignations ni de plans sur la comète, même plus de romances et de bons sentiments, juste rien de connu.

Suspendu. Creux. Vide. Extraordinaire.

Un tout petit instant détaché de la masse, une goutte d'eau transparente jaillie sur la crête d'un flot, qui comprend, en voyant la mer à l'infini, que le vent de surface n'a aucun pouvoir sur l'abyssal silence des profondeurs.

Pourtant, il n'y a pas rien dans ce qui arrive à cet instant. C'est autre chose. Je ne sais pas ce que c'est, matière ou éther, prémonition, vision, perception ou illumination.

C'est une sorte de voyage à l'envers, un retour d'exil.

Je parle arbitrairement d'années, parce que c'est difficile de ne pas mettre des limites temporelles à ce retournement, parce que la réalité physique et sociale se conjuguent à un moment de la vie avec la conscience aiguë d'avoir saisi la chance de sa génération, la possibilité d'échapper à l'esclavage.

Dans ce silence, le temps est aboli, suspendu, creux sans fond qui n'a pourtant rien d'une perdition, plutôt une sorte d'écho subtil s'évanouissant à l'infini en ricochant sur les étoiles d'atomes, ondulant d'un calme placentaire qui fait pousser des ailes, parce qu'on est certain tout à coup de retrouver son chemin, le chemin de la maison, qui est pour certaines, fées quotidiennes, et pour certains, pas vilains, le chemin du mandala habité, le chemin de la yourte.

J'ai pu m'abstraire de la coupe d'un mari, de la férule d'un patron, des affiliations d'église ou de partis, j'ai pu être pauvre sans être misérable, socialisée sans être aliénée, j'ai produit sans modèles, sans brevets et sans prostitution, j'ai pu m'abriter, me nourrir, me vêtir et me soigner sans dévaliser la planète, et je suis probablement une des dernières à pouvoir habiter la forêt, ce qui me vaut cette sensation, en regardant à rebours, d'être passée entre les mailles du filet, toujours de justesse. Au fil du rasoir. Comme ce soldat rescapé d'un massacre au dernier jour de la guerre. On ne m'a pas coupé la tête quand j'ai dû avorter, j'ai pu tenter une vie d'artiste quand la loi contre l'exclusion a été votée, j'ai fabriqué et posé ma yourte dans le bocage de France avant que soient instituées des réserves de sauvages, des ghettos pour contenir cette étrange horde barbare d'irréductibles improductifs qui croient encore aux esprits de la nature, je n'ai pas été brulée pour avoir défendu l'ortie et le pissenlit et je n'ai pas été vitriolée parce que je suis une femme. J'ai pu éprouver et m'installer dans la singularité de préférer l'Être à l'Avoir, cultiver la différence par une certaine distance, bien que souvent dans la fuite et la grande précarité, mais dans un contexte où la solitude et la liberté d'une femme, même vilipendées et méprisées par la meute mâle, ne sont pas interdites et punies par la loi ou les kalachnikovs. De cette grande chance ont pu naître des temps sans prescriptions, que la plupart utilisent en divertissements (quel gâchis...), dont j'ai fait des enclaves d'expérimentation, de réflexion et de méditation en dehors de tout embrigadement. C'est grâce à la gratuité de ces temps là, qui m'ont rapprochée des arbres et de la beauté, résistance farouche à l'effondrement du sens et de la nature, que lentement s'est préparé cet instant de grâce où le silence émerge comme une vérité absolue.

Ensuite, on le perd de vue, les tiraillements reviennent, car rien, et surtout pas l'éveil, n'est jamais acquis. Mais une fois que, sur la crête d'un instant immobile, on l'a rencontré, on sait l'origine et la perpétuité et on n'a plus peur. Si on veut le programmer, le faire revenir de force, il s'échappe. Il est totalement autre et totalement Soi, insaisissable et impossible à manipuler, à contrôler, sans suprématie et sans démonstration de puissance, et pourtant totalement pénétrant. Plus il est là et plus on devient vrai, transparent et miraculeusement ignorant, une absence de savoir et de jugement parfaitement reposante, une absence qui imprègne et relie à l'ensemble du vivant, avec une communication sans mots, qui plonge aux racines de tout ce qui respire.

Alors, au sein de cette vacuité, dans une tranquillité furtive, fugitive mais indélébile, je sais que j'en suis, que j'y étais déjà et que j'y serais toujours.

 

Escapade bucolique

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Pour accompagner mes vœux d'une année paisible et lucide, je vous propose une petite vadrouille buissonnière.

Voici donc un nouvel album de photos regroupées de façon aléatoire,

http://yurtao.canalblog.com/albums/barbesse_land_art_nature/index.html

par lequel j'espère transmettre et partager le bonheur du geste créatif, mouvement parfois à peine ébauché, d'autres fois plus achevé, qui surgit lors de moments de communion avec les éléments naturels les plus anodins.

Je me régale partout où la nature m'accueille, en découvrant couleurs, consistances, formes insoupçonnées, souvent mystérieuses et magiques, et si j'ai appris à ne plus toucher sans respect, si j'ai découvert la dévotion à tant de profusion et de complexité, j'ai osé ajouter, lors d'inspirations hasardeuses, une légère contribution aux matériaux offerts généreusement par la terre.

Il est si difficile à l'humain de ne pas laisser de traces, il est si commun de chercher à surseoir à la conscience de sa finitude, de poser sa marque en espérant qu'elle dure au delà du présent. Mais ici, le geste de récolte et de composition qui me vient à la rencontre d'êtres vivant une autre vie que la mienne, n'a d'autre prétention esthétique que la pure gratuité d'un élan d'adoration envers la beauté de la forêt, de la campagne, de la plage...

Land-art, art environnemental, bio-art, art naturel, art naïf, art fugace, art premier, art brut, architecture ou sculpture sauvage, sont des dénominations imparfaites pour qualifier l'immersion douce et précautionneuse dans le végétal, le minéral, les éléments, favorisée par un habitat perméable aux moindres variations saisonnières et climatiques.

Le fait que la yourte elle-même, par sa structure légère en faisceau, soit déjà une œuvre en nature à mi-chemin entre artisanat domestique et art vernaculaire, non seulement rompt le confinement habituel de l'artiste dans son atelier, mais aussi, grâce à la fluidité générée par la porosité du dehors et du dedans, décloisonne et désectorise la vie quotidienne. Cette harmonisation permet à la pensée de s'absorber dans la continuité d'un présent plus intense.

Une œuvre peut surgir au milieu d'une vaisselle, quand, en train de gratter une casserole avec une botte de fougères, les gouttes et les brindilles qui tombent au sol forment un dessin où soudain se devinent un aigle, un ours ou une étoile. La défragmentation des disciplines que favorise l'holisme de la yourte est un puissant agent de réunification de soi, d'où ce sentiment d'intégrité couronnant une libation accomplie.

Évidement, mes modifications sur le paysage sont minimes et procèdent de la proximité sensuelle avec la nature, elles n'ont rien à voir avec celles de ces artistes mégalos sponsorisés par des actionnaires repus, qui culbutent tout devant eux à coups de bulldozer pour remodeler entièrement un pan de géographie.

La plupart du temps, je récupère des matériaux en abondance ou en décomposition, auxquels j'octroie un sursit de vie en révélant un versant caché, réveillant une texture, une polychromie, une géométrie secrète, par un voisinage complémentaire ou une affinité insolite.

Il m'est arrivé, avant de les éliminer définitivement de mes habitudes, d'ajouter des capsules aux cailloux et du plastique aux branches mortes, expérimentant une forme ludique de recyclage des déchets industriels, tout en prenant conscience de l'impact destructeur des comportements consuméristes les plus banals. Qu'il s'agisse de rejets de manufacture humaine ou de déchets biodégradables, la réflexion sur tout ce qui passe entre les mains et sous les yeux à l'aune de l'empreinte écologique, permet de soupeser les conséquences à long terme de nos prédations et de mieux se situer dans l'écosystème.

L'attention et l'exigence de respect grandissent à mesure que les matériaux les plus ordinaires, souvent méprisés, livrent leurs trésors intimes, s'alliant les uns aux autres en combinaisons simples ou arbitraires, qui agissent comme des balises par lesquelles l'humain dispersé, désorienté, revient aux sources du Vivant.

Les formes délicates de la flore, des racines, des arborescences, révèle une harmonie extraordinaire dans les verticilles végétales, qui résonne profondément avec l'unicité de l'univers, cohésion que l'humain perceptif tente de reproduire en créant des mandalas. Là, gousses, grains et grappes s'ordonnent en une ronde tellurique comme un reflet du miroir des astres.

Aux moments sombres de décadence, de guerre, de souffrance occasionnée par la corrosion d'un système, qu'il soit personnel ou collectif, il est difficile d'envisager le renouveau qui surgira d'une mouture en ébullition. C'est pourquoi, par un phénomène compensatoire contre l'éparpillement individuel ou la menace d'éclatement d'une société, des figures concentriques apparaissent spontanément dans les rêves et dans l'art, comme pour surseoir aux tensions des conflits, au délitement des énergies et au démembrement des valeurs. Dans cette désagrégation nécessaire aux transformations se manifestent des symboles de recentrage qui sont la voix du Soi ou du Sens remontant de l'hiver de l'âme. L'ordre sous-jacent au chaos n'est jamais aboli car, au plus fort de l'obscurité et de la décomposition déjà s'activent des bulles d'atomes pulsant de nouvelles énergies dans l'atmosphère, afin de réorganiser, selon l'alchimie cellulaire, la génération suivante.

C'est pourquoi la simple observation, poétique et non scientifique, des processus vitaux, une contemplation ouverte et disponible, réveille au sein de la psyché des échos de nos origines, de nos liens à l'univers, de nos attaches utérines et fraternelles à toute forme de vie.

Cette immersion permet de développer une complicité, et parfois une synchronicité, avec les mutations perpétuelles qui sont le moteur du Tao.

En ceci, l'artiste en nature se rapproche beaucoup du chaman dont le pouvoir de guérison émane d'une fusion spirituelle avec les esprits de la nature. De même que le méditant œuvre à la paix en cessant d'ajouter au carnage, le poète en nature, foncièrement désintéressé de tout retour marchand, œuvre à un discret équilibre entre sensible et intelligible, entre nature et culture.

Culte léger aux charmes du monde naturel, fiançailles amoureuses de l'artiste, du promeneur et d'une palette en perpétuelle métamorphose, acupuncture poétique sur la peau de notre mère la terre, l'art en nature, quand il ne laisse d'autre trace de lui-même qu'un regain de grâce, ouvre, en accompagnant paradoxalement la vie en train de s'éterniser, un chemin praticable, soutenable, à la création personnelle.

Album land-art nature, photos de Sylvie Barbe.

 

Sacré Wigwam

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Il y a en moi un endroit, derrière, où habite en permanence quelque chose de limpide qui se moque d'être aimé ou admiré. Sur le devant, là où se déroule le bal des apparences, là où je m'identifie avec mes actes et mes perceptions, j'attends toujours de la reconnaissance. Je créé désespérément de beaux objets pour obtenir la confirmation de mon existence, des objets que je suis incapable de vendre, parce que ce que je réclame, c'est de l'amour, la gratuité de l'amour, pas de l'argent. Parce que je ne veux pas être aimée pour ce que je fais mais pour ce que je suis.

Mais je ne sais pas qui je suis.

wigwam yurtao 1

Je regarde comment mon corps obéit à mon cerveau, comment il se défile quand j'ai mal à mes os et mes yeux, comment je poursuis une image du bonheur, où je picore ma ration et jusqu'où vont mes pieds, mes capacités et mes talents, j'interroge mes besoins et mes habitudes, ma race, mon sexe et mon statut, j'explore ma généalogie, je compare les destinées, j'échafaude des mythes, j'adhère à des conceptions cosmologiques, j'emberlificote des histoires magiques, je force le trait, mais je tourne autour du pot jusqu'à ce que je me débarrasse de mes miroirs et que je pose la vraie question tournée vers l'intérieur : « Qui suis-je ? »

Là, un grand trou noir s'ouvre où ma pensée culbute.

Alors je me rattrape à n'importe quoi, un truc que je connais bien de préférence et facilement accessible, un truc lestant cette évanescence angoissante qui, chaque fois que j'entame une plongée dans l'exploration des profondeurs, sape le ciment de ce que je crois être mon identité et étiole mes fondements historiques.

Ce n'importe quoi vite manipulable, c'est souvent l'activité ou la production. Avant, ça pouvait être les conflits, avec victimisation et dénonciation, revendication et étayage de rébellion. Maintenant que j'ai créé mon propre monde, c'est la sécession, la poésie, la nature et la contemplation. J'ai longtemps cru que ce monde personnel gagné de haute lutte était plus favorable à la réalisation, mais aujourd'hui je n'en suis plus du tout certaine, parce que j'ai vu qu'on peut découvrir qui on est vraiment en plein chantier aussi bien qu'installé dans sa cabane, sauf qu'une fois arrivé où l'on voulait, on risque d'y rester englué par la satisfaction et la jouissance.

wigwam yurtao 2

La constante entre toutes les étapes de construction du moi qui m'est propre, c'est que, contrairement au pesant échafaudage comportemental destinéà agréger toute personne au corps social, à chaque fois que quelque chose s'est séparé de ce que je croyais être, je me suis retrouvée plus libre et plus légère. Ce détachement produit, de gré ou de force, par la vision claire de la permanence des transformations, arrive parfois après l'estourbissement d'une bonne claque, parfois par hasard, souvent par saturation ou désespoir, toujours par échec de saisir ce qui taraude, la racine du désir. Alors la cuirasse tombe, les fils du canevas se dénouent, et je me retrouve nue devant le puits de ma question : « Qui suis-je ? »

wigwam yurtao 3

Si j'ai le courage de rester là, de ne pas me rhabiller en catastrophe parce que j'ai un menhir urgent à livrer, que je prends le temps de pénétrer cette nudité pour en comprendre sa nature, alors je vais traverser chair et os, moelle et cellules, différents degrés de matière dans lesquels je pourrais facilement me berner en croyant trouver la solution au miracle de la vie, avec explication biologique, moléculaire, kantique ou cosmique, et hiérarchie des composants.

Mais si j'arrive à franchir cette exploration sans m'embrouiller et me perdre dans la physique et la métaphysique, je tombe sur un nouvel écueil, la confusion entre introspection et discernement, entre psychologie, anthropologie et spiritualité. Je ne peux finalement m'approcher de la compréhension finale qu'en expérimentant des voies sans issue qui me font revenir au point de départ.

Là, je tente de comprendre où pointent les aiguilles de la boussole en devenant moi-même boussole, où il me reste la possibilité de contrer l'agitation en m'ancrant au centre. Mais la stabilité de ce moyeu ne peut garantir aucune tranquillité, puisqu'il reste un objet ballotté dans les mains qui s'en servent.

A nouveau, le grand trou noir est là, où pensée et sécurité culbutent.

Alors, je pose des limites pour ne pas me perdre dans l'inconnu, dans l'abîme de mon ignorance.

wigwam yurtao 4

Pourtant, je suis irrésistiblement attirée par ce trou, aimantée comme tant d'autres à cause de ce pressentiment universel d'un au-delà commun inconnaissable où prend source le fleuve de la vie, mais aussi sans doute parce qu'une fois où j'ai failli mourir, je suis tombée dedans et que j'ai vu la lumière formidable briller derrière l'accueil au bout du couloir, et la chaleur, et la joie ineffable, et comment je n'ai pas été défaite mais emportée dans le noyau même de la création qui semble amour absolu.

Je me retiens souvent au bord du vide, au bord d'une puissance qui risque de tout emporter, tout ce que j'ai construit autour du corps que ma mère a couvé, que je croyais cohérent mais que je ne sais par quel bout prendre quand il faut se présenter, car j'en ai assez de toutes ces mises en scènes, et qu'à force de perdre le fil du scénario, je perds aussi tout intérêt pour mes personnages.

C'est pourquoi sans doute me faut-il marquer, quelque part de solide, au sol ou dans le bois, autre chose qu'une projection de mes miasmes, une simplicité qui fasse écho à ce que j'appelle doucement derrière le tintamarre de mes imaginations, des signes élémentaires ouverts vers le ciel, comme si la voûte céleste pouvait s'ouvrir à cet endroit précis où penchée sur la glèbe je reviens aux archétypes primordiaux, et qu'une percée de lumière fasse taire toutes ratiocinations.

wigwam yurtao 5

C'est ainsi que je trace des cercles où dedans je mets tout ce que je ne sais pas.

Il y a les yourtes où j'habite sur la colline au milieu des mésanges, et il y a aussi toujours quelque part autour de moi un mandala qui a besoin d'être avancé mais que je me garde bien de jamais finir.

La circonférence que je trace autour de ce que j'ignore et qui me gouverne, c'est comme une ceinture de chasteté : pour conserver le mystère, éloigner la violence des savoirs et des croyances, rendre un morceau de territoire impénétrable aux mécréants, aux violeurs et aux profanateurs, pour que les goulus spéculateurs, scientifiques, économistes et autres spécialistes du vol ne puissent disséquer les arcanes de la vie en morceaux de viande ou en barils de fuels à revendre aux plus offrants, pour que la guerre et l'appropriation s'arrêtent au seuil de ce qui pourrait être la paix.

Au milieu du cercle, je dessine le soleil, la lune et les étoiles, avec des cailloux, de la mousse, de l'écorce et des fleurs, puis je pose du silence, cette part de l'existence que les mots ne peuvent circonscrire, qui attire les esprits et vide les objets de leur bruit.

Le cercle que je construis autour du gouffre de mes lacunes, c'est la limite que je me donne pour accomplir mon humanité.

Je ne peux être chez moi à l'intérieur de ce cercle que si chaque être vivant désirant partager ce vénérable silence puisse y loger son intimité, du moins s'il accepte d'accrocher son drapeau à l'entrée.

wigwam yurtao 6

Après, qu'on porte un voile, un kimono, des babouches, un poncho ou une cravate, que la coupole qui rassemble soit un igloo, un dôme, un tipi, une yourte ou un wigwam, quelle importance...?

On a tous envie d'être reconnus, on veut tous être aimés, tout le monde s'efforce d'étoffer une identité forte, de se singulariser, et finalement au lieu des roucoulements, c'est la foire d'empoigne.

C'est pour ça que les humains depuis la nuit des temps tracent des lignes de conduite pour ne pas se bousculer, arrêter de se battre, des lignes à l'intérieur desquelles on peut se respecter à plusieurs même si on ne comprend rien et qu'on a peur de l'ailleurs et de l'étrange, des lignes qui protègent un espace où peut transparaître une autre réalité que celle des appartenances.

Un tel espace, une telle bulle hors du monde,

wigwam yurtao 8

n'est pas une terre d'exil mais un retour à la sagesse.

De là, de cette attention muette, naît la possibilité de l'unité.

Car rien ne se partage mieux que de ne pas savoir qui on est vraiment. C'est le socle des religions. Sauf qu'on est seul à faire le chemin vers soi. Ce Soi, l'Unique qui est source des multiples et des différences, auquel chacun aspire plus ou moins consciemment selon l'épaisseur de sa carapace, est la seule condition de l'unité.

C'est insolite, anachronique, dans un monde sans limites où la liberté confisquée par les athées nourrit l'impérialisme idéologique, l'accaparement des ressources et la caricature de toute vérité, soit-elle révélée ou discernée. Dans un monde où la pornographie et la dérision ont souillé tout représentation de la nudité de l'âme face à l'ultime Conscience.

wigwam yurtao 9

Du bois pour mon feu

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En ce froid matin de Février, j'aperçois de mon lit, à travers le carreau sous la sortie du tuyau d'évacuation, la boule rouge du soleil surgir sur la colline et embraser les pins.

soleil glacé

Aussitôt une immense gratitude lève en mon cœur et l'incendie du jour se répand dans mes membres. Vite debout dans la yourte glacée percée d'un jet radieux, je rentre une poignée d'aiguilles de pin dans le petit poêle, rajoute des brindilles, des rameaux, puis des branches de différents calibres, précieux petit bois ramassé par temps sec, trié par section et soigneusement empilé la veille dans une caissette contre le treillis. Je craque une allumette dans les aiguilles sèches et le feu prend immédiatement. La porte en fonte fermée, je règle la prise d'air et recule pour contempler, à travers la vitre du poêle, ma réponse au soleil, une boule de feu jumelle apprivoisée dans le petit cercle de la yourte.

soleil approvoisé

La flamme jaune bondissante produit rapidement des braises et la lueur devient rouge orangée, exactement de la même couleur que la boule solaire.

Alors une joie pure comme le feu s'installe en royauté dans mon petit espace.

Puis la lumière commence à frapper les objets

lumière dans la yourte yurtao

et c'est la symphonie des couleurs.

soleil sur rubans yurtao

Comment exprimer l'intensité que déclenchent de si simples gestes, une telle ivresse et une telle plénitude ?

Le feu d'hiver mitonné dans ma petite caisse en fonte, ce n'est pas seulement une lutte contre le froid, c'est un dialogue permanent avec le dehors, avec le vent mordant, les giboulées piquantes, le givre sur les pierres et les chemins, la glace dans les flaques, les rafales gelées, la neige parfois quand quelques flocons veulent bien honorer le toit de ma yourte de leur divine blancheur. C'est une attention constante aux températures qui ressemble à la modulation d'une chorégraphie, quand vers la tombée du jour, vingt minutes suffisent après l'allumage pour que mon thermomètre prenne 15 degrés de plus, quand j'ajoute du pin bien sec pour bouillir l'eau ou cuire mes lentilles, quand je choisis une bûche minutieusement calibrée pour m'assurer un confort tranquille le temps d'une séance d'écriture, quand il me faut une chaleur plus profonde avec du bois plus dense, châtaigner ou acacia, quand une erreur de dosage m'oblige à ouvrir grand la porte-fenêtre pour éviter le sauna, et quand, cessant d'alimenter mon foyer, je surveille chaque degré de perdition calorifique à l'aune de la sévérité du temps et des couches d'isolation.

J'ai besoin d'entendre la voix du feu, ses doux crépitements, son léger ronflement, ses pétarades quand il s'emballe ou que j'ai oublié d'écorcer, le cognement d'un morceau de bois roulant dans les cendres, ses ronronnements rassurants quand je m'assoupis sur un livre, et ses murmures et sifflements qui bercent mes soirées... J'apprends encore et encore à faire chanter mon feu en douceur, à domestiquer son ardeur, à lui offrir la juste ration qui n'endommagera pas la qualité de l'air, et je suis toujours admirative de la façon dont un élément d'une si violente nature est capable de produire tant de paix et de réconfort.

Cette amitié de la flamme dansant dans l'âtre, confidente précieuse qui réduit en cendres mes chagrins, rejoint dans mon cœur l'immense affection que m'inspire tous les êtres vivants non humains. Ce compagnonnage dynamique entre frissons et sueurs est une histoire d'amour avec l'hiver, l'atmosphère, le ciel cristallin, le dénuement végétatif, les dormances souterraines, les arbres figés en postures hiératiques, le bois mort qui m'attend dans la forêt, que j'ai repéré et qui sera tracté et remonté au gré de mon énergie, relation joyeuse consommée voluptueusement en moments de cocooning douillet à siroter une tisane de thym cueilli sur le versant en face lors d'une randonnée en plein vent.

Je ne perds jamais de vue cette flamme, la ravivant d'un petit tour de vis du clapet d'air, ouvrant et fermant la porte pour surveiller l'évolution de la calcination, titiller les bûches récalcitrantes qu'il faut parfois réveiller au soufflet, recharger, affaire de dosage que l'habitude cisèle comme un art. La dessus, j'attribue un ordre de passage au feu à chaque marmite, chaque bouilloire, afin d'obtenir des cuissons synchrones et disposer d'eaux à différents degrés.

A valser ainsi avec mon bois et mon feu, des relents de complicité atavique avec le petit peuple du Nord me rapprochent de ces veilles Babouchka vivant seules dans leur isba au milieu de la neige, petites bonnes femmes extraordinaires et si humbles, disparaissant presque entièrement dans de larges manteaux râpés et des bottines usées jusqu'à la trame, et qui, à des âges canoniques, affrontent tous les jours les fondrières pour aller scier en forêt le bois de leur survie ! Quelle profonde sororité je ressens pour ces femmes retirées, vivant en contrées hostiles loin de tout ! Bien qu'ici l'hiver soit si court et si doux qu'on a pas le temps d'en souffrir, je me sens reliée à cette solitude courageuse, à ce féminin robuste et modeste, dont l'acharnement domestique paraît le seul apte à sauver notre foyer planétaire de la gabegie des mâles.

Le dosage de mon feu dépend évidement de la quantité et la qualité du bois que je peux lui apporter. Rien n'est plus utile à mon équilibre homéostatique et écologique que de n'être pas équipée d'une grosse tronçonneuse. Ma petite scie basique m'empêche drastiquement d'abattre des arbres en pleine force de l'âge et d'empiler comme si une nouvelle ère glaciaire menaçait. Je n'abats d'ailleurs jamais d'arbres vivants hormis des pins qui sont ici invasifs (plantés au siècle dernier pour fournir des poutres aux galeries de mines) et stérilisent le sol par leur acidité, pour les remplacer par des feuillus enrichissant l'humus.

Le pin se décompose et brûle vite, encrasse les tuyaux, mais il est abondant en brindilles, en branches cassées par les bourrasques, et fournit un allumage inépuisable. Je ramasse ou coupe du bois mort de pin et de châtaigner dans la forêt dévastée en tout temps par les bûcherons sauvages et les politiques sylvestres capitalistes. C'est fou ce que je trouve comme branches décapitées, de diamètre parfaites pour ma piètre force, rejetées par les voleurs de bois qui ont emporté les troncs. Le plus dur est de les ramener, de les remonter jusqu'à ma falaise, ce qui garantit la sobriété de ma consommation.

Fascinée par les formes élancées et tarabiscotées du châtaigner, il m'arrive souvent de ne pouvoir me résoudre à sacrifier au feu des branches au port d'une élégance raffinée, à la texture si noble que j'en épargne des fagots entiers pour mes sculptures ou autres accrochages.

arbre aux gants yurtao

Ainsi, partout autour de la yourte, se dressent des tas de perches

en attente de polissage ou de cabane,

du bois en attente yurtao

que j'adore contempler en passant,

bois stocké yurtao

comme si leur seule présence pouvait me consoler des ravages d'où je les extrait.

J'utilise un petit tréteau en fer pour scier mes branches, et un billot de châtaigner pour fendre mes bûches. J'aime ce travail, même si je commence à ramer à cause du mal de dos. Le geste de lever le merlin résolument au-dessus de ma tête en restant bien droite et de l'abattre de toutes mes forces sur la bûche en pliant les genoux me procure une sensation proche de celle du tireur à l'arc décrit par Hérigel dans son ouvrage : « Le Zen dans le tir à l'arc ».

La sensation de taper juste au bon moment sans se prendre la tête.

La réussite déclenche un sentiment franchement jouissif. Pourtant, je suis toujours étonnée de voir la bûche éclater par le milieu alors que je n'ai pas l'impression d'avoir viser. Je me contente de caler ma cible bien en équilibre et de repérer les nœuds, mais après, je ne sais ce qui se passe car mon cerveau se vide de toute opération mentale, comme si ma cible s'incrustait quelque-part derrière mes orbites, se clouait au tréfonds de mes cellules et que celles-ci endossent automatiquement, sans me consulter, la responsabilité de l'atteindre. Depuis le jour où un cri guttural s'est expulsé spontanément de mon ventre en même temps que mon coup, je laisse le son accompagner le geste, comme s'il pouvait aider l'énergie libérée à moins me coûter.

C'est ainsi que j'ai remarqué qu'il n'y a pas de différence entre fendre du bois et tuer une mouche. Tout dépend du souffle. Le secret, c'est de simplement regarder la mouche ou la bûche, et au moment de la décision de trancher, inspirer profondément et bloquer la respiration. La capture de la mouche et l'éclatement de la bûche se font là, dans le vide du souffle suspendu.

Après, il suffit de laisser la main s'abattre en expulsant l'air d'un jet clair et net.

Radical. Aucune mouche osant circuler sur mes cuisses ne m'échappe.

J'entasse mon bois dans mon tout nouvel abri que je viens de bricoler le long d'une restanque.

abri bois avant yurtao

Un abri où s'aligne une jolie réserve de bois,

abri bois après yurtao

c'est comme un frigo bien rempli, on se sent à l'abri du besoin.

J'y ai accroché une mangeoire pour les oiseaux,

mangeoire pour mésanges gourmandes

tressée en rejets de châtaigner

et couverte d'un toit conique fabriqué avec des boudins d'aiguilles de pins.

mangeoire pour les oiseaux

Cette mangeoire est devenue la coqueluche des mésanges.

Elles adorent se poster et chahuter sur les perchoirs de branches de bruyères

enrobées de laines multicolores,

bruyère en chaussette

sur mes suspensions d'où elles se renversent dans des postures loufoques, et de là, foncer sur la mangeoire pour en ramener une graine de tournesol qu'elles décortiquent en martelant leur bec sur le bois. Du coup, entre marteaux piqueurs et quêtes de fibres pour les nids, la laine de mes arbres en chaussettes commence à pendouiller de partout...

branches de bruyères en chaussettes multicolores

Mais quels fous rires ces mignonnes m'offrent tout au long de la journée !

Avec les vols planés de vers de terre que je catapulte de plus en plus près du rouge gorge qui sautille en diagonale autour de la plate-bande où je bêche, mon hilarité devient contagieuse et je me retrouve à chanter comme un pinson toute la journée.

Je n'utilise même pas une demi stère de bois de chauffe pour tout l'hiver.

Premièrement, contrairement à ceux des maisons qui doivent griller des suies tout le temps même quand ils sont absents, je n'entretiens mon feu que quand je suis là.

Pas comme ces imprudents d'Argenton-les-Vallées qui, le 11 Février 2015, ont allumé leur poêle avant de partir et ont retrouvé leur yourte en cendres à leur retour… Une tente n'a pas ou peu d'inertie thermique, il est donc très facile de chauffer rapidement quand on arrive, alors qu'ignorer le BeaBa de la sécurité, en laissant un feu sans surveillance, peut coûter très cher.

A l'inverse, la sécurité du chauffage central des bâtiments conduit à la mise en danger du climat planétaire. Toute combustion a un prix à payer, voilà pourquoi s'impose la modération et la révision totale des modes de vie. Quel gâchis tous ces bureaux chauffés sans personne qui y dort et ces maisons chauffées sans personne pour y travailler ! Il est faux qu'il faille construire plus de logements parce qu'il en manque, comme le bêle un consensus stupide. Des habitats légers écologiques et renouvelables autonomiseraient bien des familles sans crever leur budget ni celui de la terre. Il n'y a plus de sable sur les plages pour continuer à couler du ciment mais largement assez de bâtiments inoccupés, puisque l'aberration énergétique du mode de vie occidental, entre logements surchauffés et flux furieux de véhicules, permet à certains de cumuler des bâtis à foison tandis que d'autres n'ont rien. Heureusement qu'avec la crise, outre les yourtes, certains remettent en cause ces inepties en occupant et réhabilitant plein de bâtiments vides.

Deuxièmement, en hiver, j'hiberne dans la plus petite yourte, la mieux exposée au soleil et abritée des vents du Nord, quatre mètres de diamètre qui offrent un volume réduit très économique. Suffisamment réduit pour que les flammes de deux bougies augmentent sensiblement la température ambiante,

bougie avec cirebougie au bout

mais suffisamment large pour ne pas se sentir à l'étroit. La température y grimpe aussi vite que dans une salle de bain où coule l'eau chaude du bain vespéral, et alors la yourte ressemble à une baignoire procurant une détente comparable à celle d'un bon bain relaxant.

Troisièmement, j'organise mon emploi du temps en fonction de la saison. Je vais en courses ou je couds quand il pleut et je réserve le beau temps aux travaux de plein air. J'ai réalisé tardivement combien j'avais souffert petite d'être cloîtrée à l'école quand le soleil brillait dehors, combien l'enfermement m'était intolérable, au point d'être ensuite incapable de tenir un boulot salarié. Parce que finalement, le soleil brille souvent.

Je n'ai pas de panneau solaire mais je sais utiliser la chaleur et les rayons au bon tempo, pour mijoter en particulier, et j'ai mes petits coins de nature en creux où se caler pour que mes activités profitent le plus longtemps possible de la lumière. Je sais de combien de degrés ma yourte va s'échauffer dans l'après-midi en fonction de la météo. Et combien j'aurais au matin, ce qui dépend de la température externe au plus profond de la nuit et du moment où je cesse d'alimenter le poêle, un peu avant l'heure du coucher. Chauffer pendant le sommeil alors qu'une bonne couette coûte moins cher à la planète me paraît stupide. Certes le petit déjeuner est frisquet si je dois partir après et n'allume donc pas de feu, mais le tonus matinal supporte aisément cette morsure qui prépare à la sortie extérieure.

Ceci dit, je ne suis pas au Canada. Heureusement, car là bas, ils cèdent aux sirènes pétrolières du plastique, au point de mettre leur vie en jeu. Ces yourtes hermétiques chauffées à fond toute la nuit ont mené quatre campeurs du parc de Gatineau aux urgences, à moitié morts par empoisonnement au gaz inodore et mortel de monoxyde de carbone. L'étanchéité parfaite de la couverture en PVC qui ne permet ni respiration ni évacuation au contraire des toiles textiles ou végétales (feutre), a failli leur être fatale .

Ma yourte dont le tissage ressemble aux pores de la peau est donc devenue une enveloppe thermique aussi vivante et sensible que ma chair, et depuis que je vis ainsi, avec thermostat viscéral intégré, je n'attrape plus de rhumes. Même quand je sors en chemise vider mon seau sous la lune.

Quatrièmement, c'est bête à dire, mais je m'habille sur la durée en conséquence. Loin de moi le temps où je privilégiais, par tradition familiale couturière, la mode ou le style au confort et à la solidité. Fini la soumission au diktat consumériste qui attise les névroses de renouvellement de garde robes débordantes, obligeant les demoiselles qui ne veulent pas grelotter au moindre courant d'air à se cantonner aux centres commerciaux loin de tout caprice climatique. Bien qu'il soit toujours aussi difficile de dégoter un sous vêtement ou un tee-shirt féminin en fibres naturelles sans décolleté qui expose le cou à tous vents, ou une paire de chaussettes en laine sans élastique broyant le mollet, j'arrive, en superposant les couches et à force de vivre dehors, à encaisser des températures de plus en plus basses.

Mais ça ne sert à rien puisqu'il fait de plus en plus chaud.

Sauf que je scie moins de bois …

Ce qui ne compensera jamais le massacre de la forêt Cévenole par les criminels de la multinationale Eon qui, à Gardanne, font cramer des montagnes d'arbres volés aux terroirs dans leur centrale à biomasse assassine. J'ai beau rester à distance des folies du monde, c'est toujours la même histoire qui se répète sous mes yeux, celle des gros qui cassent tout pendant que les petits, et surtout les petites, éparpillées ici et là dans des masures branlantes, s'échinent, avec leurs gestes minuscules et leur immense respect de la vie, à retarder l'échéance finale.

 

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